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assurément point « cléricale, » — au sens propre du mot ; — mais elle est encore bien moins anticléricale. Et la preuve en est que, sur une question qui aurait pu rallier les suffrages d’un certain nombre d’incroyans simplement libéraux, celle de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, nos maîtres d’un jour n’ont pas osé, sachant bien d’avance qu’ils seraient désavoués, en appeler au peuple ; ils ont décrété la séparation de leur autorité privée ; ils n’ont pas reculé devant un véritable coup d’Etat, espérant bien, peut-être à tort, — que leurs électeurs ne protesteraient pas contre un fait accompli. Car il ne faut pas oublier que la Chambre actuelle n’a pas même un quart de ses membres qui ont été élus sur un programme séparatiste ; et combien cette proportion eût-elle baissé encore si un referendum eût permis à l’opinion publique de s’exprimer en toute liberté sur une question aussi capitale ! Or si, parmi les séparatistes — de théorie tout au moins — il n’y a pas que des anticléricaux, on peut affirmer que l’anticléricalisme est chose à peu près inconnue parmi les antiséparatistes ; et, par cette simple statistique, où d’ailleurs on ne tient pas compte des femmes, puisqu’elles ne votent pas, on peut évaluer combien la « réaction anticléricale » est chose artificielle en France, et combien elle répond peu aux dispositions foncières et aux vœux secrets du pays. Mais ne fallait-il pas donner satisfaction à la franc-maçonnerie toute-puissante ? Ne fallait-il pas complaire à un ancien clerc que les hasards de la vie politique et la volonté d’un habile avocat, — qu’on essaie vainement de transfigurer en homme d’Etat, Waldeck-Rousseau, ont sacré durant près de trois ans président du Conseil ? Le mal fait au pays pendant ce temps-là, et dont nous commençons à voir les résultats, est incalculable. Les intérêts de la défense nationale entièrement négligés et même gravement compromis, au moment où il eût été le plus urgent de ramasser toutes ses forces, la guerre civile à la veille d’éclater, et même déjà ouverte : voilà, à voir froidement les faits, les conséquences matérielles de cette dictature anticléricale ; et l’on peut se demander combien il faudrait à la France d’un pareil régime pour disparaître entièrement du nombre des nations. Et ce n’est pas tout : nous nous aliénons comme à plaisir toutes les sympathies que nous valait à l’étranger notre titre de puissance catholique ; nous perdons peu à peu notre protectorat en Orient, et, comme M. Faguet l’a fait très justement observer, nous détachons de