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s’épanouit enfin sans contrainte. Car la France alors ne s’est pas plus faite « libertine, » — et peut-être moins, — qu’elle ne s’est faite protestante : elle est demeurée catholique. Or sa fidélité à la religion traditionnelle n’a pas laissé d’être assez méritoire, et elle a eu d’incalculables conséquences historiques. Si, à la fin du XVIe siècle, la France était devenue protestante, les destinées générales du catholicisme auraient été profondément modifiées. On n’aurait pas eu en particulier ce magnifique épanouissement de la pensée catholique qui caractérise le XVIIe siècle français, et que l’Italie même, au siècle précédent, n’avait pas su réaliser. Et sans doute, l’irréligion, surtout pendant les deux siècles qui ont suivi, a fait des progrès. Mais d’abord, comme on se tromperait, — M. Faguet l’a très bien vu et très fortement dit, — si l’on croyait que la propagande encyclopédique a dépassé certaines couches sociales, et qu’elle a entamé au XVIIIe siècle cette « troisième France » dont nous parlions l’autre jour ! Et depuis, elle l’a entamée assurément un peu ; les idées voltairiennes, — qui se sont d’ailleurs singulièrement modifiées dans les classes supérieures, — sont descendues de proche en proche dans la petite bourgeoisie et jusque dans le peuple. Mais pourtant, et sans parler ici des diverses renaissances religieuses dont le XIXe siècle a été le témoin, à l’heure actuelle où trente années de « déchristianisation » méthodique ont sans doute produit leurs naturels résultats, peut-on dire, doit-on dire que la France soit profondément irréligieuse ? Nos hommes politiques l’ont cru, et ils commencent à s’apercevoir qu’ils se sont étrangement trompés. La vérité est que, à la prendre dans son ensemble, et exceptis excipiendis, la France d’aujourd’hui est restée très attachée à ses croyances héréditaires : on en jugera par ces deux faits d’ordre très différent, mais également significatifs : la France contemporaine est le pays du monde qui donne le plus pour les missions et pour le Denier de Saint-Pierre ; et c’est aussi le pays qui fournit le plus de missionnaires[1].

A un autre point de vue, — tous ceux qui, depuis une

  1. Il n’est pas mauvais de préciser cela par quelques chiffres. On sait que les missions catholiques sont surtout alimentées par l’Œuvre de la Propagation de la Foi. Or, durant l’année 1904, — le dernier exercice connu, — sur une somme totale de 6 493 307 fr. 71, la France, à elle toute seule, a fourni plus de la moitié, à savoir 3 510 043 fr. 24. Après la France, viennent les États-Unis, avec 784 714 fr. 60 ; la Belgique, avec 366 735 fr. 84 ; l’Alsace-Lorraine, avec 335 540 fr. 96 ; l’Allemagne, avec 330 365 fr. 88 ; l’Italie, avec 301 087 fr. 50. D’autres exercices, celui de 1898, par exemple, portent aux deux tiers de la somme totale la contribution française. En 1898, sur une somme totale de 314 421 505 fr. 10, depuis l’origine de l’œuvre, la France avait fourni les deux tiers, soit 204 421 505 francs. On notera, pour ce qui concerne la France, que les souscriptions annuelles sont rarement supérieures, mais souvent inférieures à 2 fr. 60. — Quant aux missionnaires, la France, à elle toute seule, fournit les deux tiers de leur contingent.