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crois, que le Français est essentiellement religieux et qu’il est essentiellement irréligieux. Il n’a pas tort, à la condition seulement qu’on mesure l’étendue des manifestations religieuses des Français et l’étendue des manifestations contraires. Le Français, ce me semble, a des dispositions naturelles essentiellement irréligieuses ; seulement, et précisément à cause de cela, par réaction des esprits nés religieux contre leurs entours, il y a eu des groupemens pénétrés de l’esprit religieux le plus intense ; il y a eu des îlots religieux singulièrement nets et pour ainsi dire aigus, comme il y a des îlots granitiques au milieu des pays calcaires, qui tranchent vigoureusement avec tout ce qui les entoure et se l’ont remarquer d’autant. Cela, ce me semble, à toutes les époques : vaudois, cathares, huguenots, jansénistes… » — Et les catholiques, dont on ne dit pas un mot dans toute cette jolie page, n’y en a-t-il donc jamais eu en France ? N’ont-ils donc pas formé, ne forment-ils pas encore la masse générale de la nation ? Et croirons-nous aisément que le pays de saint Bernard et de saint Vincent de Paul, de Bossuet et de Bourdaloue soit un pays foncièrement irréligieux[1] ? — Simples individualités, dira-t-on peut-être, « âmes douées de l’esprit de contradiction, » et qui, « par réaction contre leurs en tours, » ont été « provoquées au sentiment religieux. » — Il resterait à expliquer pourquoi la Gaule romaine s’est si promptement et si aisément convertie au christianisme ; pourquoi, durant tout le moyen âge, par la ferveur de sa foi et par les services de tout genre qu’elle a rendus à la papauté, la France a mérité le titre de « fille aînée de l’Eglise ; » pourquoi enfin elle a été par excellence le pays des Croisades, de la chevalerie et de l’art gothique. Ce sont là des faits généraux, des faits collectifs et ethniques qui ne cadrent pas avec cette thèse d’un tempérament national « essentiellement irréligieux. » Et qu’on ne dise pas qu’à partir du XVIe siècle tout change, et que le fond anticlérical du caractère français, jusqu’alors opprimé et masqué, se libère et

  1. On notera que la piquante recherche que fait M. Faguet des « causes psychologiques les plus générales de l’anticléricalisme en France » revient à l’énumération et à la description des principaux défauts français. M. Faguet l’avoue, du reste, avec son habituelle franchise : « Le Français, dit-il, est esprit fort dans l’âme, de pur tous les défauts qui se trouvent ordinairement en lui. » On ne saurait mieux dire, — à condition d’avouer que le Français a peut-être aussi quelques qualités, et que ce sont précisément ces qualités qui, lorsqu’elles dominent, entretiennent on lui la disposition religieuse.