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mélange les distinctions imaginées par notre orgueil ? L’hérédité se manifeste-t-elle inéluctablement dans les traits du visage ou dans les caractères de l’âme ? Le mal ne peut-il se changer en bien, de sorte qu’à la fin l’honneur s’incline devant l’amour ? Notre théâtre a soulevé plus d’une fois des questions analogues, et, pour ne citer que ses plus récentes productions, il y a bien quelque chose de cela dans les Fossiles ou dans l’Évasion. Je ne parle pas, bien entendu, du préjugé nobiliaire qui, sous une forme ou sous une autre, trouve le moyen de reparaître jusque dans les comédies où les affaires sont les affaires.

Pour être juste à l’égard de M. Galdós il convient de faire deux réflexions. La première est que toutes ces questions qui semblaient avoir traversé les Pyrénées avec des livres russes, norvégiens ou français, il les a faites siennes par la couleur qu’il leur a donnée. La seconde, et la plus importante, c’est qu’il n’y a ni un mince courage ni une médiocre originalité à les avoir traitées sur une scène espagnole. Les spectateurs de M. Galdós ont fait à son théâtre une résistance qui s’explique surtout par le dérangement profond qu’il causait à leurs vieilles habitudes de sentir et de penser, ou… de ne pas penser. C’est qu’il apportait les idées les plus opposées du monde à la tradition nationale, c’est qu’il imposait à son public tout ce qu’il était capable de supporter de modernisme. Vous figurez-vous les héros de Calderón assistant à une représentation du Grand-Père ? Ne s’indigneraient-ils point de voir ainsi déshonorer l’honneur ? Le vieux comte d’Albrit paraîtrait au dénouement un descendant dégénéré au Peintre de son déshonneur et au Médecin de son honneur. Le théâtre espagnol contemporain a deux faces bien distinctes. De l’une, il regarde le passé, et c’est celle que présente encore à son public l’avant-dernier lauréat du prix Nobel, don José Echegaray. M. Pérez Galdós est, au contraire, le véritable fondateur de cette école qui, avec M. Benavente, M. Dicenta et d’autres « jeunes, » cherche à faire pénétrer sur la scène de son pays les idées et les sentimens de l’Europe d’aujourd’hui. Et c’est pourquoi son œuvre dramatique ne nous paraît pas étrangère.

Elle n’en reste pas moins une œuvre nationale, et dans le meilleur sens du mot. Elle prêche, en effet, et avec éloquence, les idées qui sont actuellement le plus nécessaires à l’Espagne. Le plus illustre représentant de la critique et du catholicisme espagnols, M. Menéndez y Pelayo, avait d’abord combattu, dans