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interventions du dehors pour s’attacher et quelquefois s’attarder aux seules peintures morales.

Un tel théâtre exige les plus précieuses ressources de la psychologie. Elles ne font presque jamais défaut à M. Galdós, mais elles ne le servent pas toujours aussi bien sur la scène que dans le roman. C’est surtout dans la création des personnages secondaires qu’il a fait preuve de la plus piquante justesse. Serviteurs égoïstes ou sournois agens d’affaires, dévotes autoritaires ou vaniteuses « mairesses » de village, ces hommes et ces femmes qui ne font que traverser la scène ne la quittent point sans nous faire sourire du trait aussi net que discret dont ils sont à jamais marqués. M. Galdós excelle dans la peinture de ces picaros modernes qui, presque sans esprit et sans finesse, se conquièrent cependant, comme le Senén du Grand-Père, une situation moyenne par les seules forces de l’adulation et de l’intrigue, et qui, pour reprendre la formule du Pepe Fajardo des Épisodes nationaux, « en attendant d’être le riche qui le mange, ne veulent point être le lièvre qu’on apprête, mais le cuisinier qui l’apprête. »

Les personnages principaux nous intéressent souvent et nous émeuvent plus d’une fois. Ils ne nous paraissent jamais d’une vérité assez vivante et, si je puis dire, assez criante. Ceux qui sont des sages s’enveloppent dans une sérénité trop froide. Ceux qui partagent les passions humaines ne donnent pas l’impression d’être uniquement tirés de l’observation. La femme aimée, jeune fille ou veuve, est presque toujours une âme d’élite que sa générosité naturelle attire vers le malheur, que son intelligence éveillée entraîne vers des lumières nouvelles. L’homme qui la conquiert vit généralement en marge de la société. Il a le mépris magnifique des conventions et des lâchetés et une inébranlable confiance dans la valeur de son énergie. Elle et Lui parlent en prose, mais on pourrait leur souffler des vers assez connus :


Lui : Un ange vous dit-il combien vous êtes douce
Au malheureux que tout abandonne et repousse ?
Elle : Vous êtes mon lion superbe et généreux.


T’exagère, mais c’est pour mieux faire sentir que, si pénétrés qu’ils soient du souffle moderne, les héros de M. Galdós sont tout de même bien Espagnols, puisque, dans des intrigues