Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/841

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

représentent tous deux un identique état d’âme, c’est la « bête féroce » qu’il a ainsi mise à mort.

Le public espagnol fit à la pièce un accueil si fâcheux qu’il n’a peut-être pas peu contribué à détourner pendant quelques années M. Galdós du théâtre. Y trouva-t-il des longueurs ? Si nous en croyons les astérisques, plus d’un passage fut supprimé à la représentation. Ces sacrifices furent-ils insuffisans ? L’action parut-elle trop lente ? Au lieu d’émouvoir, le dénouement fit-il sourire ? La mort était-elle distribuée à l’un et à l’autre parti avec une égalité trop naïve ? Je ne sais, mais j’ai grand’peur qu’à toutes ces questions il convienne de répondre oui. Les héros du drame ne pouvaient guère retenir l’attention qui ne s’attachait pas à l’intrigue. Susana n’était point sans charme, mais cette nouvelle sœur de Victoria et d’Isidora, cette amoureuse qui veut être une rédemptrice n’était toujours marquée au coin ni de la vérité historique ni de la vraisemblance morale. Quant à Berenguer, il présentait un mélange bien trouble où l’on retrouvait un peu d’Hamlet et de Werther et beaucoup de romantisme fatal. On vit sans doute une médiocre reprise de Roméo et Juliette dans l’inévitable peinture d’un amour nécessaire à la thèse de l’auteur. Malgré la salutaire leçon que la Bête féroce lui donnait, l’Espagne moderne se détourna de la pièce pour retrouver sa figure et relire son histoire dans les Épisodes nationaux.

Un des rares héros de ces Épisodes dans les paroles duquel on puisse entendre l’écho de la pensée de l’auteur, Beramendi termine ainsi la seconde partie de ses Mémoires : « Sans savoir d’où elles venaient, je sentais des espérances battre de l’aile autour de moi. La vérité était toute proche : je la découvrirais bientôt, je rencontrerais la représentation vivante de l’âme espagnole. »

C’est cet espoir magnifique qui a inspiré Ame et Vie. Si nous en croyons le prologue de ce drame, M. Galdós a voulu y exprimer « plutôt un sentiment vague qu’une idée précise, la mélancolie qui envahit et déprime l’âme espagnole. » Il a donné pour époque à l’action l’année 1780, une de celles qui lui paraissent représenter le plus exactement la fin de l’Espagne héraldique. Dans son château de Ruy diaz en Castille, la duchesse Laura de la Cerda y Guzman mène une existence maladive. Elle abandonne l’administration de ses États à Monegro qui, avec la