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pas une âme ordinaire. Mais ne s’élève-t-il pas en dehors plus encore qu’au-dessus de l’humanité ? Il est intéressant à étudier comme une reprise de l’Orozco de Réalité. Mais, quoi qu’il en dise, M. Galdós n’a vraiment observé ni l’un ni l’autre ; il les a successivement adaptés à l’idéal philosophique, puis religieux qu’il les chargeait de représenter.

Salomé n’est pas beaucoup plus naturelle. Elle est bien de la famille des trois héroïnes que nous a déjà peintes M. Galdós. Cet attrait du mystère et cette vocation d’ange tutélaire qu’elle éprouve si brusquement n’en font point une Aragonaise de Tan de grâce 1898 ; elle semble plutôt la petite-fille littéraire de Dona Sol et d’Éloa. Quant à José León, à la fois débauché comme Federico Viera, violent comme Cruz, plein de talent comme Victor, je ne dirai pas, après M. Galdós, qu’il est un personnage « complexe et scabreux. » Je lui appliquerai plus volontiers le mot qui lui est adressé dans la pièce : « C’est un personnage du plus pur romantisme. » Ecoutez-le parler à Salomé : « Je suis le mal, Salomé, et moi qui suis le mal, j’ai gagné le bien. » Hernani s’exprimait-il autrement ? Comment s’étonner que le public espagnol n’ait pas compris des personnages qui ne lui semblaient directement tirés ni de la réalité, ni de la tradition nationale ?

Il s’y est intéressé d’autant moins que le sens et la portée de la pièce lui ont à peu près complètement échappé. M. Galdós se défend dans sa préface d’avoir voulu faire du symbolisme. S’il admire Maison de Poupée, les Revenans et l’Ennemi du peuple, il se pique de ne pas comprendre le Canard sauvage, Solness et la Dame de la Mer. Il prétend qu’aucun auteur n’a eu moins d’influence sur lui qu’Ibsen. Il n’en reconnaît pas moins que « toute la cimentation de son œuvre est purement spirituelle. » M. Galdós touche ici du doigt la véritable raison de son insuccès. Il a voulu acclimater en Espagne un genre pour lequel le public n’était pas préparé. Qu’est-ce, après tout, que les Condamnés, sinon un effort pour introduire Ibsen et Tolstoï dans ta patrie de Lope et de Calderón ? L’idée essentielle qui s’en dégage, c’est que nous vivons dans le mensonge, et que notre salut est dans la vérité. José León essaie d’abord de contredire cette thèse, mais c’est pour la mieux affirmer et confirmer à la fin. N’est-ce pas celle précisément que soutiennent et que justifient de plusieurs manières les héros d’Ibsen ? Le dramaturge norvégien