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l’ont entraîné de malheureuses spéculations, elle se donne en mariage à José Maria Cruz, le fils d’un ancien charretier de sa famille, qui, à force d’énergie patiente et brutale, a amassé en Californie une énorme fortune et qui revient avec l’âpre désir de s’installer en maître sur la terre où il fut valet. Ponctuel dans ses engagemens, mais impitoyable dans la poursuite de son droit, Cruz s’est fait une loi de ne connaître ni la pitié ni la charité. Victoria engage la lutte contre cette cupidité et cet égoïsme raisonneur. Vaincue dans une bataille douloureuse, et injustement soupçonnée dans ses sentimens pour son premier fiancé, elle se retire chez son père. Elle ne tarde pas à s’apercevoir qu’il lui reste au cœur le regret de son mari et de sa vie tourmentée. Cruz ne peut pas non plus être heureux sans elle. Eclairé par celui qu’il croit son rival sur la sottise de sa jalousie, ému au plus profond de son orgueil par l’annonce d’une paternité qui fondera sa maison, il accepte le marché que lui impose Victoria : tant pour la mère et tant pour l’enfant. Il fera le bien malgré lui. Mais le mal n’est-il pas la meilleure raison d’être et d’agir du bien ?

Je reconnais que l’étude psychologique de Cruz et de Victoria n’est peut-être pas poussée assez loin. Je ne crois pas que l’optique théâtrale exige un tel grossissement. Je demande seulement qu’on ne crie pas mal à propos à l’invraisemblance matérielle ou morale. La fortune de Cruz et son retour au pays natal sont assez naturels sur une terre d’où tant de Catalans et surtout d’Asturiens sont partis pauvres avec le désir réalisé d’y revenir riches. Dans un autre ordre d’idées, l’ardeur de Victoria pour le sacrifice et son étrange exaltation ne sont pas inexplicables sous un soleil qui a éclairé sainte Thérèse et la nonne porte-étendard. Après cela, si l’on me dit qu’il y a, malgré tout, dans son rôle plus d’une trace de romantisme, j’en tomberai d’accord. La Folle de la maison n’en est pas moins un drame plutôt réaliste, s’il est vrai qu’une des plus sûres manifestations du réalisme est dans l’importance qu’il accorde à cette question d’argent qu’ignorait le théâtre antérieur. C’est surtout un drame moral et plus dramatique que Réalité. L’action en est moins lente et plus concentrée ; les diverses phases de ce combat entre deux âmes ne nous laissent jamais indifférent. On y sent une force croissante qui ne recule pas devant la brutalité et qui pourtant s’enveloppe toujours de grâce.