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romannesque de M. Pérez Galdós devait-elle lui interdire à jamais l’accès de la scène espagnole ?

Je réponds que là n’est pas la question. De ce que l’esprit humain est parfois capable de cultiver divers genres, il n’en résulte pas que ces genres cessent d’être divers. Quand M. Paul Hervieu essaie de traduire l’idée qu’il se fait des hommes et de leur société, la nuance avec laquelle elle lui apparaît ne détermine-t-elle pas la forme qui lui permettra de la réaliser ? Est-ce son seul caprice qui décide si de tel ou tel sujet il tirera un roman ou un drame ? Ou bien y a-t-il des situations et des ressorts purement dramatiques ou exclusivement romanesques ? M. Galdós n’hésite point à répondre non. Il affirme que le drame n’est qu’une condensation de ce qui constitue l’action et les caractères dans le roman moderne. « C’est ce que nous comprendrions mieux, ajoute-t-il, si le théâtre de nos jours, soit par erreur ou fatigue du public, soit pour des raisons économiques ou sociales, ne s’était point enfermé en un moule si étroit que les œuvres capitales des grands dramatistes nous paraissent des romans parlés. Quel est le public qui accepterait aujourd’hui une représentation intégrale du Richard III de William Shakspeare ? » — Mais tout simplement celui qui a applaudi au théâtre Sarah-Bernhardt une traduction littérale et complète de l’Hamlet du grand William, ou encore celui qui au Théâtre-Antoine supporte sans la moindre coupure le Roi Lear du même Shakspeare. — « Que celui qui le sait, s’écrie triomphalement M. Galdós, me dise si la Célestine est un roman ou un drame. »

La question est embarrassante, parce qu’il s’agit d’une œuvre qui a pris sous la plume de Fernando de Rojas des formes assez différentes puisque, conçue d’abord en un acte, elle en a eu ensuite seize, et enfin vingt et un. « L’auteur, dit M. Galdós, l’avait appelée tragi-comédie, et c’est en réalité un drame de lecture. » Ni l’une ni l’autre de ces affirmations n’est tout à fait exacte. Le titre primitif de l’œuvre n’était point tragi-comédie, mais comédie de Calixte et de Mélibée. Il est probable qu’elle s’était présentée à l’esprit de Rojas sous la forme d’un dialogue qui devait s’appliquer à noter sur le vif le monde de jeunes gens, d’entremetteuses et de courtisanes où il avait vécu comme étudiant. Peu à peu, grâce à la fécondité de l’imagination créatrice de l’auteur, les personnages ont pris une vie plus intense. A mesure qu’ils parlaient, leurs caractères se précisaient en s’opposant les