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Aussi, à partir de ce jour, se rendit-il plus assidu aux promenades du Duc de Bourgogne, sans cependant les suivre entières, et autant que la foule ou des gens dangereux ne les grossissaient pas. Peu de temps après, le courage lui venant à mesure qu’il sentait grandir la bienveillance du Duc de Bourgogne, il se hasardait, en plein salon de Marly, à lui demander quel était le sujet d’une conversation assez animée qu’il avait surprise entre la Duchesse de Bourgogne et lui, et ayant appris qu’il s’agissait d’une question d’étiquette à propos d’une visite que la Duchesse de Bourgogne devait rendre à la princesse d’Angleterre, et d’un nouveau cérémonial auquel le prince tenait depuis que la princesse était Dauphine : « Que j’ai de joie, lui répondit Saint-Simon, de vous voir penser ainsi, et que vous avez raison d’appuyer sur ces sortes d’attentions dont la négligence ternit toutes les autres, » et aussitôt, il prit occasion de cette question d’étiquette pour lui toucher quelques mots de la question des prérogatives ducales et des atteintes que ces prérogatives avaient subies. Le Duc de Bourgogne répondit avec feu, entra dans les raisons de Saint-Simon, au point de se faire, dit celui-ci, « l’avocat de notre cause, » et il finit par lui dire qu’il regardait la restauration des ducs et pairs comme une justice importante à l’Etat ; qu’il le savait bien instruit de ces choses et qu’il lui ferait plaisir de venir l’en entretenir un jour. C’était précisément là ce que l’ambitieux personnage se proposait. Grande fut donc sa joie, lorsque, quelques jours après, le Dauphin l’envoya chercher, et le fit introduire dans son cabinet par Duchesne, son premier valet de chambre, qui prudemment le fit passer par la garde-robe, afin que personne ne sût rien de cette visite. Saint-Simon ne consacre pas moins de trois pages au récit de ce premier entretien, où il eut la joie de trouver son royal interlocuteur tout disposé à entrer dans ses griefs, en particulier sur l’attitude des ministres vis-à-vis des gens de la plus haute qualité, sur le Monseigneur qu’ils refusaient aux ducs, et, d’une façon générale, sur leurs usurpations, ainsi que sur la situation faite à la noblesse, systématiquement tenue à l’écart des grands emplois. Quelque confiance qu’il eût dans les sentimens du Duc de Bourgogne, Saint-Simon n’espérait pas tant : « Il est difficile d’exprimer, ajoute-t-il, tout ce que je sentis en sortant d’avec le Dauphin. Un magnifique et prochain avenir s’ouvroit devant moi. Je vis un prince pieux, juste, débonnaire, éclairé, et qui