Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/809

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

interlocuteurs ne parlent pas la même langue. Tous deux admettent qu’il nous faut une armée indigène, que les engagemens volontaires ne peuvent la créer parmi des populations pacifiques au fond et que nous avons déshabituées de la guerre ; et qu’en conséquence les communes doivent être astreintes à fournir un contingent partiel. Toute la querelle porte donc sur la façon dont le contingent imposé par nous sera désigné par les communes. Le ministre trouve parfaitement juste que cette désignation soit faite arbitrairement par les notables, et injuste que le sort en décide ; il trouve plus commode d’avoir affaire à la commune qu’aux individus ; il s’étonne que les mêmes principes, bons au Tonkin, soient mauvais en Cochinchine ; il pense qu’on va substituer un système de recrutement national à un système de recrutement régional ; il dit que le tirage au sort établit le principe de l’impôt du sang et du service militaire obligatoire pour tous, et, incidemment, chemin faisant, prouve qu’il ignore tout du pays et de la situation, même l’établissement de l’état civil, qui fonctionne depuis 1875, tenu en double par les communes et les greffes des tribunaux. Le gouverneur général et le Conseil de défense, sans se permettre de discuter une conception de la justice que nous oserons trouver singulière, essaient vainement de présenter l’état des faits auxquels quelques tirades hors de propos ne peuvent remédier ; ils s’efforcent de ramener la question à son véritable objet, un mode de désignation dans l’intérieur de la commune, conformément au vœu des populations et des notables, des autorités civiles et militaires, de tous les corps élus et assemblées délibérantes : Conseil colonial, Conseil supérieur, Conseil de défense. Pas de principe en jeu, pas de changement de système ; quant au recrutement par engagemens volontaires, il est déjà employé par la marine, qui engage ses indigènes et arrive à les payer plus cher que les Européens : le résultat est déplorable et la marine demande avec insistance que les matelots indigènes soient recrutés comme les tirailleurs par voie de tirage au sort parmi les populations côtières ; donc ce système a fait ses preuves, il est très coûteux et son application abaisserait encore le niveau de nos troupes indigènes. Rien n’y fait. Le ministre continue à regarder dans les sphères élevées des principes intangibles, et se refuse à parler faits. Il ne tient aucun compte des réponses à ses copieuses dissertations et les réédite imperturbablement, il prescrit des séries d’enquêtes et