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commissions de recrutement, composées d’officiers et d’administrateurs civils, qui choisissent les hommes à incorporer. On voit donc qu’en définitive les notables fournissent le contingent, sous leur responsabilité. Au Tonkin, où leur autorité est effective, ce système, conforme aux mœurs du pays et au mode de recrutement de tout temps en vigueur dans l’empire d’Annam, donne de bons résultats ; une part de rizières prise sur les biens communaux indemnise la famille de l’homme incorporé : les désertions sont extrêmement rares et les coupables presque toujours retrouvés et punis. Mais en Cochinchine, où notre administration directe a eu pour résultat la destruction de l’autorité communale, les notables ne peuvent plus imposer le recrutement ; ils fournissent des vagabonds ou les plus pauvres des habitans, et les décident à se laisser incorporer, grâce à une somme assez forte, — qui constitue pour la commune une lourde charge, — puis à la promesse de subsides dont le paiement cesse au bout d’un mois ou deux ; l’homme déserte alors et cette plaie de la désertion a pris de telles proportions qu’elle atteint un cinquième de l’effectif et nécessite des recrutemens trimestriels dont les opérations troublent sans cesse le pays et dérangent l’instruction des troupes.

L’autorité militaire et l’autorité administrative sont donc tombées d’accord avec les notables et la population elle-même pour demander un autre mode de désignation : le sort, devant lequel l’Annamite s’incline toujours, a paru le plus juste et le plus conforme aux mœurs indigènes. En 1901, le Conseil colonial de Cochinchine émit un vœu dans ce sens, sur la proposition de conseillers indigènes élus ; une commission mixte, composée d’administrateurs civils et d’officiers, fit une enquête qui conclut à son adoption ; le conseil supérieur de l’Indo-Chine, saisi de ces résultats par le gouverneur général, s’y associa unanimement. Si bien que le gouverneur général, ayant à former le 2e régiment de tirailleurs annamites, dont la création nécessitait l’incorporation immédiate de 3 000 recrues, crut pouvoir prendre, le 24 septembre 1903, un arrêté provisoire prescrivant le tirage au sort comme mode de désignation pour les contingens à venir, et soumit l’arrêté au département pour qu’il fût transformé en décret. Mais cette question si simple donna lieu entre le département et le gouverneur général à une discussion qui dure encore et qui n’est pas près de finir : les deux