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du nouvel héritier du trône et pour pénétrer dans son intimité. Beauvilliers et Chevreuse l’aidaient dans celle entreprise, car ils souhaitaient de voir le Duc de Bourgogne prendre en effet confiance en lui. Dans leur pensée, Saint-Simon devait être un des futurs conseillers du prince. Combien dut-il alors se féliciter d’avoir obtenu des deux ducs qu’ils ne communiquassent pas au Duc de Bourgogne ce mémoire dont nous avons parlé, qu’il avait rédigé autrefois sur les instances de Beauvilliers, et où il marquait d’un trait si juste, si ferme, mais parfois si dur, les erreurs, les petitesses et parfois même jusqu’aux ridicules du jeune prince. Si grande que fût l’humilité du Duc de Bourgogne, peut-être aurait-il eu peine à pardonner à Saint-Simon quelques sarcasmes que la plume du terrible écrivain n’avait pu retenir, ou, du moins, se serait-il senti moins à l’aise avec lui. Mais jamais il n’avait eu connaissance de ce portrait, et il ne voyait en Saint-Simon qu’un grand seigneur, honoré de la protection des deux hommes de la Cour en qui lui-même avait le plus de confiance et sur le dévouement duquel il savait, d’après eux, pouvoir compter. Aussi était-il tout porté à la bienveillance pour lui, et il n’opposa pas une longue défense au siège en règle que Saint-Simon entreprit dès le lendemain de la mort de Monseigneur.

Les approches en furent savantes. Un soir que le Duc de Bourgogne se promenait dans les jardins de Marly, accompagné de peu de personnes, Saint-Simon saisit cette occasion favorable pour l’aborder à la dérobée et lui dire que bien des raisons l’avaient tenu jusqu’alors dans un éloignement nécessaire, mais qu’il allait pouvoir suivre avec moins de contrainte son attachement et son inclination, et qu’il espérait que le Duc de Bourgogne l’aurait pour agréable. À ces propos habiles, le Duc de Bourgogne répondit, bas également, qu’il croyait en effet que ces raisons avaient cessé, qu’il savait bien que Saint-Simon était pour lui, et qu’il comptait avec plaisir que, désormais, ils se verraient plus librement de part et d’autre. « J’écris exactement, ajoute Saint-Simon, les paroles de sa réponse, pour la singulière politesse de celles qui la finissent. Je la regardois comme l’engagement heureux d’une amorce qui avoit pris comme je me l’étois proposé[1]. »

  1. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1856, t. IX, p. 301.