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est la plus vieille des connaissances humaines, que la nécessité de mettre en lumière tant de vérités ignorées n’est pas une preuve de progrès, et il concluait : « Sur les points fondamentaux de la science sociale, il n’y a rien à inventer : dans cette science, le nouveau est simplement ce qui a été oublié[1]. » Nous dirons à notre tour que si les peuples sont libres de méconnaître les causes du bien-être, ils ne sauraient échapper aux conséquences de leurs oublis et de leurs fautes. Maîtres de leurs actes, ils subissent nécessairement l’effet de leur libre choix et ils ne violent pas impunément les « lois » de l’harmonie sociale.


III

Si la science sociale, telle que l’a comprise F. Le Play, enseigne les conditions de la prospérité et de la paix, l’art vient à son tour tracer des règles de vie individuelle et collective. Ainsi apparaît l’art social, aussi complexe que délicat, puisqu’il est pour un peuple l’art même du bonheur. Comment en connaître les règles, sinon par l’exemple des nations heureuses ? Le Play ne se contenta pas d’être un savant, il voulut être réformateur. Il aimait notamment à dégager d’une pratique séculaire certains axiomes, que ni les passions, ni les préjugés, ni les sophismes ne pourront jamais faire oublier : « La paix sociale est le critérium du bonheur. » — « Les bons sont ceux qui apaisent la discorde ; les méchans, ceux qui la font naître. » — « Le bien, c’est le bonheur dans la paix et l’accord des âmes ; le mal, c’est l’inquiétude dans l’antagonisme et la haine[2]. » Pour un peuple comme la France, divisé, agité, tourmenté, il s’agit de réformes urgentes.

On connaît le débat qui divise aujourd’hui les tenans des réformes sociales. Les uns ont une foi robuste dans l’initiative privée, qu’ils voudraient aussi éclairée qu’agissante ; les autres mettent leur espoir dans les interventions légales. Le Play laisserait à d’autres les discussions philosophiques ; il distinguerait les libertés nécessaires et les contraintes légitimes et il persisterait à faire une place à la coutume non moins qu’aux lois impératives. Parmi, les réformes qu’il a proposées, nous signalons ici celles qui ont soulevé les plus vives discussions et qui

  1. Les Ouvriers européens, t. I, p. 389.
  2. La Constitution essentielle de l’humanité, p. 11.