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communauté et sous l’autorité d’un chef unique les fils issus d’un ancêtre commun, la famille « souche, » — que nous trouvons très forte en Angleterre, — voit le père associer au gouvernement familial un des fils, généralement l’aîné, qui sera l’héritier principal, à charge par lui d’accomplir certaines obligations. Ainsi apparaît le continuateur officiel des traditions, tandis que les cadets doivent se créer une situation conforme à leurs goûts. Reste la famille « instable, » caractérisée par l’établissement de tous les enfans au dehors du foyer familial où ils sont nés et par la destruction de ce foyer, lors du décès des parens. Ce type de famille, — bien connu aux Etats-Unis, — convient aux peuples sans histoire, et il est devenu, pour quelques publicistes français, l’idéal de la famille moderne. Le Play, lui, préférait la famille « souche, » qu’il avait observée dans les meilleures régions de l’Europe et dans laquelle il avait trouvé, entre autres qualités, la solidité du lien conjugal, une ferme autorité paternelle, la multiplicité des rejetons et chez ceux-ci l’ardeur au travail, l’initiative, la volonté de se créer, dans la lutte pour la vie, une situation indépendante[1]. Ces types de famille se mêlent, se pénètrent dans de nombreux pays ; sous la double influence des mœurs et des lois. Telle est notamment l’influence du droit successoral. Le Play préférait à tout autre système la liberté du testament. Admirateur de la famille anglo-saxonne et des institutions anglaises, persuadé que le créateur de la fortune doit pouvoir disposer sans entraves des fruits de son travail, il estimait que la liberté du testament découle du droit de propriété et que, si un homme a la facilité de dissiper sa fortune de son vivant, il doit pouvoir en disposer « à cause de mort. » Plus encore que le droit du père, il envisageait l’intérêt de l’enfant, pour qui la certitude de l’héritage est trop souvent une cause d’indolence, d’inconduite et de ruine. Mettant en parallèle la jeunesse d’outre-Manche et la jeunesse française, il voulait que celle-ci fût énergique, entreprenante, émigrante, colonisatrice, douée de qualités que, seules, l’éducation familiale et la formation des premières années donnent à l’enfant.

Si, contrairement aux théories de Malthus, la loi de la population est une loi d’accroissement normal et continu, réalisé par la fécondité de la famille, les rejetons doivent trouver à

  1. Voyez l’Organisation de la famille, par F. Le Play, 4e édit. Tours, Alf. Mame et fils, 1895.