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Beauvilliers voyait cette situation changée. Tous les regards se tournaient vers le jeune prince, que la mort de son père avait brusquement rapproché d’un trône où l’âge avancé de son aïeul l’appellerait bientôt à monter. L’avenir était là, et le courtisan habile se pressait déjà autour de lui, ardent à témoigner son empressement et tenant pour vertus ce que la veille il traitait de ridicules. Or non seulement ce jeune prince était le pupille de Beauvilliers, mais il se faisait un honneur public de le montrer. Personne à la Cour n’ignorait que son ancien gouverneur était devenu son homme de confiance. En butte à l’animadversion non déguisée de Monseigneur, Beauvilliers avait tout à craindre de l’avènement de celui-ci au trône ; au contraire, l’avènement du Duc de Bourgogne lui assurerait la continuation de la faveur dont il jouissait. « Aussi, dit Saint-Simon, à travers la candeur et la piété la plus pure, un reste d’humanité inséparable de l’homme lui faisoit goûter un élargissement de cœur et d’esprit imprévu, une aise pour des desseins utiles, qui désormais se remplissoient comme d’eux-mêmes, une sorte de dictature d’autant plus savoureuse qu’elle étoit plus rare et plus pleine, moins attendue et moins contredite, et qui, par lui, se répandoit sur les siens et sur ceux de son choix[1]. » Rien cependant dans l’attitude extérieure de Beauvilliers ne trahissait ce reste d’humanité. Il conservait « la même sagesse, la même modération, la même douceur, la même politesse, sans le moindre élan d’élévation, de distraction, d’empressement. » Quels que fussent au fond les mouvemens qui l’agitassent et les espoirs auxquels il se livrât, « son âme parut toujours dans la même assiette et il continuait de la posséder en paix[2]. »

Les sentimens de Beauvilliers étaient partagés par son beau-frère Chevreuse avec lequel il ne faisait qu’un corps et qu’une âme et qui vivait également dans l’intimité du Duc de Bourgogne, bien qu’à un moindre degré. Aussi avons-nous eu moins souvent l’occasion de prononcer son nom. Il importe cependant de le faire connaître, car nous aurons à rechercher plus tard quelle influence il s’efforça d’exercer sur le Duc de Bourgogne, et quelle part lui revient dans les projets de gouvernement plus ou moins exactement prêtés à celui-ci.

Chevreuse était petit-fils de la célèbre duchesse, l’amie de

  1. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1856, t. IX, p. 287.
  2. Ibid., p. 288 et passim.