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mieux la cacher. — Si vous êtes sages, a-t-il dit aux ouvriers, si vous ne commettez aucun excès, vous ne verrez que des gendarmes ; mais, sachez-le bien, l’armée sera là, invisible et présente, et pour peu que vous sortiez du calme que j’attends de vous, c’est à elle que vous aurez affaire. — Cette partie du discours de M. Clemenceau a soulevé plus d’objections que la première. L’armée n’est pas une chose qu’il faille cacher, et sa présence n’est nullement une provocation à l’adresse des ouvriers. Au reste, il a bien fallu la faire intervenir quelques jours plus tard, lorsque les grévistes ont commencé à se livrer à des excès contre la liberté de leurs camarades ; mais heureusement les choses ne sont pas allées aux extrémités qu’on pouvait craindre et, jusqu’ici du moins, les grèves du Pas-de-Calais et du Nord sont restées dans ce qu’on peut appeler la moyenne de ce genre de phénomènes économiques et sociaux.

Ce résultat est du encore plus à l’imprudence du nouveau syndicat et de son chef, le citoyen Broutchoux, qu’à la persuasion exercée sur eux par M. Clemenceau. La déférence que le ministre leur a témoignée par sa visite leur a inspiré une audace plus grande que jamais : ils se sont crus assez forts pour agir sur le vieux syndicat par la force révolutionnaire et pour se substituer à lui dans la possession de la mairie. Il semble que la mairie de Lens soit en petit ce qu’était autrefois l’Hôtel de Ville de Paris : on se la dispute comme le siège du pouvoir, et c’est de là que partent les ordres qui mettent le monde ouvrier en mouvement. Mais l’entreprise du nouveau syndicat a abouti à un piteux avortement.

M. Basly, se sentant visé dans la haute situation qu’il a conquise et voyant déjà dans Broutchoux un concurrent aux élections prochaines, a tout d’un coup lancé contre lui une excommunication majeure dans laquelle il n’a pas ménagé les expressions fortes. Les héros d’Homère n’avaient pas l’invective aussi fulminante ! Poussé à bout, Broutchoux s’est rué sur la mairie, mais il l’a trouvée bien gardée par la gendarmerie à laquelle il est venu se heurter. Il a été tout simplement arrêté, conduit à Béthume, traduit en police correctionnelle et condamné à la prison. Tout cela s’est passé avec une rapidité merveilleuse, et le même homme qui recevait trois ou quatre jours auparavant M. le ministre de l’Intérieur s’est trouvé pensionnaire de l’État dans un huis-clos fort étroit. L’agitateur une fois disparu, l’agitation s’est ralentie. M. Basly a triomphé, et il l’a fait sans ménagemens pour l’adversaire. « Des incidens graves, a-t-il dit dans un manifeste adressé à ses administrés, se sont produits