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plus s’exposer au péril d’être comparée à Dumas, encore que la dernière mode aux États-Unis soit d’attribuer les livres de ce dernier à ses secrétaires et de n’exalter tout de bon que sa vie, cette vie de bohème à la Monte-Cristo, dont on accepte là-bas les légendes les plus invraisemblables avec une extrême naïveté.

Il serait trop long et bien inutile de faire le procès des romans et nouvelles, empruntés à l’histoire de France, qu’en Angleterre et en Amérique il eût mieux valu peut-être ne pas publier ; j’ai plus de plaisir à découvrir çà et là quelques heureuses exceptions, comme In the Name of Liberty, par exemple. M. Owen Johnson y a placé très adroitement sa touchante histoire d’amour en marge de la Révolution française, sans prétendre à rien de plus que se pénétrer de l’atmosphère d’une époque.

La province de Québec, qui est bien la France, a suggéré aussi de bons romans aux observateurs Américains, mais, avant d’en finir avec les critiques, comment passer sous silence le petit livre d’une centaine de pages qui eut un succès retentissant sous ce titre : Monsieur Beaucaire[1] ? Selon ses innombrables admirateurs, il réunit toutes les qualités d’éclat, d’élégance et de finesse. Examinons-les ici d’un peu près.

La scène est au XVIIIe siècle, dans une ville d’eaux fameuse, la ville de Bath ; tout le grand monde du temps y afflue, hommes de cour, beaux esprits, femmes à la mode, et on joue un jeu d’enfer chez un Français obscur du nom de Beaucaire qui est venu en Angleterre avec la suite de l’ambassadeur marquis de Mirepoix, dont il fut quelque temps le barbier. Les nobles joueurs vont en cachette chez Beaucaire, car on aurait honte de fréquenter un individu de cette sorte ; personne ne le reconnaît sur la parade. Sa maison est en fait une manière de tripot ; ce qui ne l’empêche de tenir à sa merci un très puissant seigneur, le duc de Winterset, qu’il a surpris en train de tricher.

Pour éviter d’être démasqué par Beaucaire, le duc de Winterset consent, non sans peine, à le présenter sous un faux nom dans le monde, où personne ne le reconnaîtra, car le prétendu Beaucaire, quand il s’est débarrassé de ses moustaches et de sa perruque n’est autre, nul ne s’en doute, que le Duc d’Orléans, — vous avez bien entendu, le petit-fils du Régent, l’ami des philosophes, qui joua au naturel les financiers et les paysans dans les

  1. Monsieur Beaucaire, par Booth Tarkington, Me Clure Phillips and C°.