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réussir, son galant d’Angleterre emploie des moyens déloyaux, n’hésite pas à lui préférer une fois pour toutes le libre quaker Hugh Wynn. La cause de celui-ci a été plaidée auprès d’elle, avec un magnifique désintéressement par ce Pylade, qui a nom John Warder. Darthea, bien femme de toutes les manières, choisit, pour se donner à Hugh, le moment où il est malheureux. Expulsé comme brebis galeuse par le Conseil des Amis, chassé par son père qui menace de le déshériter, il a gagné, en effet, sous un déguisement l’armée des rebelles, et s’y est distingué au péril de sa vie. Ce qui suit est de l’histoire ; l’intrigue amoureuse ne s’y entremêle que d’un fil bien léger. Nous entrevoyons, discrètement évoqués, Washington, Lafayette, Rochambeau, les grands hommes d’Amérique et de France si étroitement unis alors au nom de la liberté. A signaler aussi un portrait nouveau pour nous et très curieux du traître Benedict Arnold.

Il est peu probable que ce livre, d’un intérêt trop spécial et plus long qu’il ne convient au goût français, soit, malgré ses mérites, jamais traduit dans notre langue. En revanche, un autre récit emprunté à la même époque, A Tory Lover, vient de prendre place avec succès dans une de nos bibliothèques les plus populaires[1], sous ce titre : Le roman d’un Loyaliste. L’éloge de son auteur n’est plus à faire ici. Il y a vingt ans, et davantage, que les lecteurs de la Revue ont lié une première fois connaissance avec Sarah Jewett ; elle était au début d’une carrière qui a été celle du romancier attitré de la Nouvelle-Angleterre, au second rang seulement après Hawthorne, dont elle n’a d’ailleurs à aucun degré le pessimisme. Ses impressions de la nature, bornées à la province du Maine, annonçaient déjà un écrivain dans le sens que nous donnons à ce mot, et elle avait composé sans beaucoup d’art, mais avec la pénétrante originalité qui marque tout ce qu’elle touche, un roman où entraient ses souvenirs de jeunesse : A Village Doctor[2]. Ensuite parurent, d’année en année, ces nouvelles d’une sobriété toute virile où l’humour n’exclut ni la tendresse ni la douceur.

La romancière, qui a voyagé depuis, revient toujours à son village de South Berwick chercher des paysages familiers, des figures amies ; c’est ainsi que nous avons eu ces petits

  1. Le Roman d’un Loyaliste, par Sarah Jewett, traduction de Mlle H. Douësnel. Bibliothèque de la famille, 1 vol., Hachette.
  2. Le roman de la femme-médecin. Voyez la Revue du 1er février 1885.