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Les choses en étaient là quand mourut Monseigneur. Un instant, le malheur commun les rapprocha. Le lendemain la Duchesse de Berry vint voir la Duchesse de Bourgogne qui, toujours bonne et aimable, lui aplanit le chemin de la réconciliation et se comporta comme si les torts avaient été de son côté. Le Duc de Berry, auquel cette brouille imposée par sa femme avait coûté fort, fut tout heureux de ce rapprochement, et la Duchesse de Bourgogne étant venue, dans l’après-dînée, rendre la visite a sa belle-sœur, il en pleura de tendresse avec elle. Mais la décision du Roi relative à ce que l’on appelait le service mit la Duchesse de Berry en fureur. Cette décision lui était d’autant plus sensible qu’elle se montrait très hère des privilèges de petite-fille de France que lui conférait l’étiquette. C’est ainsi qu’elle avait voulu à toute force faire renvoyer un huissier de la maison du Roi parce qu’un jour où la Duchesse d’Orléans, sa propre mère, était venue lui rendre visite, il avait ouvert la porte devant elle à deux battans, honneur qui n’était dû qu’à elle et à la Duchesse de Bourgogne. Cette décision du Roi la plaçait sur un pied d’inégalité par rapport à sa belle-sœur. Aussi se récria-t-elle, déclarant que ce service n’était pas dû entre frères, que c’était un bas valetage, et qu’elle aurait le dernier mépris pour le Duc de Berry s’il se soumettait à une chose aussi servile. Ses pleurs, ses sanglots, ses cris furent tels que le Duc de Berry, qui avait compté aller le lendemain au lever du Dauphin, ne l’osa de peur de se brouiller avec elle. Il fallut l’intervention de son père le Duc d’Orléans, tout-puissant sur son esprit, pour obtenir de la Duchesse de Berry qu’elle se soumît à l’ordre formel du Roi. Encore demanda-t-elle quelque délai pour s’y résoudre. Le Duc de Berry y mit plus d’empressement. Le lendemain même, il se présenta au lever du Duc de Bourgogne qui, après avoir reçu la chemise, l’embrassa tendrement. La Duchesse de Berry bouda encore quelques jours. A la fin, elle s’exécuta. Laissons Saint-Simon, qui ne consacre pas moins de plusieurs pages à l’incident, en raconter la fin : « Elle fut à la toilette de Madame la Dauphine à qui elle donna la chemise et à la fin de la toilette lui présenta la sale[1]. Madame la Dauphine qui avoit fait semblant de ne se douter jamais de rien de ce qui s’étoit passé

  1. On appelait « sale » une petite soucoupe en vermeil sur laquelle on présentait aux reines et aux princesses leurs montres, leurs éventails, et autres menus objets.