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Lorsque je pense à toi, que la Mort a ravie,
Hantée encore des plus chers souvenirs humains,
Vers les rumeurs et les fantômes de la vie
Tu joins de suppliantes mains.

Sans doute alors les voix, les formes incertaines
De ce qu’en notre langue obscure nous nommons
Des arbres, des oiseaux, des essaims, des fontaines,
Des torrens, des gorges, des monts,

Tout ce que le regret dans les tombes distille
Evoque le passé pour jamais aboli,
Et peuple l’ombre lourde et le silence hostile
Où ton pur visage a pâli.

Le charme des vallons, la grâce des collines,
Les crêtes que couronne une antique forêt
Ressuscitent baignés de clartés opalines,
Où notre humble amour transparaît.

Tu nous cherches perdus dans la Nature en fête,
Par gerbes moissonnant des aveux et des fleurs,
Et ta chimère, ainsi que mon angoisse, est faite
D’une infinité de douleurs.

Tu nous cherches errans sous la nef solitaire
Des vieux parcs, dans la pourpre héroïque des soirs,
Et l’astre, à l’heure où l’homme ébloui va se taire,
Transfigure les sommets noirs.

Tu nous cherches assis sur une roche agreste,
Des horizons marins émerveillant nos yeux
Et tu répands des pleurs sur le peu qui nous reste
De tant de jours harmonieux.

Et la grave Nature, attristée elle-même,
Mêlant ses vains soupirs à tes larmes d’enfant,
Se lamente et prolonge une oraison suprême,
Comme un cœur en deuil qui se fend.