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Je vois, comme aux jours de Tibulle,
Suspendue au flanc de ce mont,
Une chèvre qui broute et dont
La clochette tintinnabule.

Ce paysage radieux
Résonne, comme au temps d’Horace,
Des plaintes du bélier vorace
Que nul berger n’immole aux dieux,

Tandis que la génisse agile,
Qui bondit sur l’herbe du pré,
Lustre aux ormeaux son cuir pourpré,
Comme à l’époque de Virgile.

Ému, je me sens emporté
Vers la bucolique et l’églogue.
C’est un printemps d’amour qui vogue
Sur un océan de clarté.

Quelque douce aïeule à quenouille
Fait tourner d’alertes fuseaux.
Parmi les joncs et les roseaux
Une laveuse s’agenouille.

Et sur un rythme si troublant
Que du double accord l’âme est pleine,
Se dévide la blanche laine
Et ruisselle le linge blanc.

Mais quelle ivresse harmonieuse
S’exhale en vieux airs attendris ?
Un pâtre chanté et je souris
Au pâtre assis sous une yeuse.

Par la voix d’un merle une fleur
Suavement apostrophée,
Érige son frôle trophée
Pour encenser l’oiseau siffleur.