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dans ta foi, mais Dieu l’a voulu ainsi, pour que tu aies le mérite de croire. C’est la part de la liberté. Sois donc ferme dans ta croyance. Songe à la foi profonde des patriarches, des apôtres et des martyrs. » Et l’on voit paraître au chevet du mourant les saints de l’Ancienne et de la Nouvelle Loi. Derrière les premiers rangs on aperçoit d’autres auréoles, et l’artiste, en quatre traits, donne l’impression d’une profonde armée.

La croyance du mourant demeurant inébranlable, le démon change de tactique. Il ne nie plus Dieu, mais il le représente comme inexorable. Après avoir attaqué la foi, il tente maintenant la vertu d’espérance. Des monstres hideux recommencent à rôder autour du malade. L’un d’eux lui présente un grand parchemin : c’est la liste « de tous les maux que la pauvre créature a commis au monde. » Et voici que, par une incantation maléfique, ses crimes prennent un corps et lui apparaissent. Il revoit la femme avec laquelle il pécha, et l’homme qu’il a trompé. Il revoit le pauvre tout nu dont il s’est détourné, le mendiant qui eut faim à sa porte. Enfin il contemple avec horreur le cadavre de l’homme qu’il a tué et dont la plaie saigne encore. « Tu as forniqué, » hurle le chœur des démons, « tu as été impitoyable au pauvre, » « tu as assassiné. » Et Satan ajoute : « Tu étais fils de Dieu, mais te voilà devenu fils du diable ; tu m’appartiens. »

Mais l’ange de nouveau descend du ciel. Quatre saints l’accompagnent. C’est saint Pierre qui renia trois fois son maître ; c’est Marie-Madeleine, la pécheresse, c’est saint Paul, le persécuteur, que Dieu foudroya pour le convertir ; c’est le bon larron qui ne se repentit que sur la croix. Voilà les grands témoins de la miséricorde divine. L’ange les montre au mourant et lui dit ces paroles où respire une mansuétude céleste : « Ne désespère pas. Quand même tu aurais commis autant de crimes qu’il y a de gouttes d’eau dans la mer, c’est assez d’un seul mouvement de contrition du cœur. Il suffit que le pécheur gémisse pour qu’il soit sauvé, car la miséricorde de Dieu est plus grande que les plus grands crimes. Il n’y a qu’une faute grave, c’est de désespérer. Judas fut plus coupable en désespérant que les Juifs en crucifiant Jésus-Christ. » En entendant ces paroles, les démons s’évanouissent en criant : « Nous sommes vaincus ! »

Si Dieu pardonne tout à la vraie contrition, il faut que Satan détourne l’homme de la pensée de son salut, l’empêche de se repentir. C’est pourquoi il fait passer devant les yeux du pauvre