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rejetée en arrière. Des traits parfaitement visibles laissent deviner cette première pensée. Il n’y a pas une seule figure qui ne porte la marque de l’improvisation. Avancer qu’une pareille œuvre ait jamais pu être restaurée, c’est prouver qu’on ne la connaît pas. On ne restaure pas un croquis. La peinture de la Chaise-Dieu est bien tout entière du XVe siècle. Quels rapports soutient-elle avec celle du cimetière des Innocens ? Les analogies entre les deux œuvres semblent avoir été très grandes, autant qu’on peut en juger par la copie plus ou moins fidèle de Guyot Marchant. Les ressemblances sont parfois frappantes. Ici et là le sergent tient une masse d’armes, le curé a un gros livre à la main, le paysan porte sa pioche sur l’épaule gauche ; ici et là le ménestrel laisse tomber sa vielle à ses pieds. Ajoutons que les personnages se suivent dans un ordre à peu près identique. Enfin des lignes tracées au-dessous de la peinture indiquent que les vers traditionnels devaient l’accompagner. Le temps a manqué au peintre pour les inscrire. Car, dans cette œuvre hâtive, tout donne l’impression de l’inachevé. On dirait que la mort est venue prendre l’artiste par la main pour le faire entrer lui aussi dans la danse.

Si la danse macabre de la Chaise-Dieu ressemble à celle des Innocens, elle en diffère aussi. Le dessin de Jubinal pourrait faire croire que ces différences sont profondes. Il nous montre, en effet, plusieurs femmes mêlées aux hommes et entraînées, elles aussi, par des morts. Or, il est évident que le dessinateur, fort négligent à l’ordinaire, a été ici tout à fait infidèle. La femme qui est censée suivre le sergent d’armes devient, si l’on consulte l’original, un moine revêtu de sa pèlerine et de son capuchon. De même, la figure de femme qui est censée précéder le marchand est, en réalité, un chanoine en long surplis[1].

Les différences ne sont donc pas de telle nature qu’on puisse douter de la communauté d’origine. Ces différences sont presque toujours d’heureuses saillies du génie de l’artiste. Ses morts, par exemple, témoignent de la plus originale fantaisie. Il a inventé quelques attitudes heureuses qui ne se rencontrent nulle part

  1. Je sais bien que l’original lui-même semble nous montrer une femme avant le sergent d’armes, mais je ne suis pas absolument certain, — tant l’œuvre a souffert sur certains points, — que cette prétendue femme ne soit pas le chartreux qu’on attendrait à cette place. Si c’est réellement une femme, il y a là une fantaisie de l’artiste.