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de même qu’elles n’avaient pas droit à porter la mante et le grand manteau qui était une distinction réservée aux gens d’une certaine qualité. Toutes ces distinctions au reste se perdaient, comme le constate mélancoliquement Saint-Simon : « Jusque-là, dit-il, qu’il en passa devant le Roi que ni lui, ni pas un du demi-cercle reconnût et personne même de la Cour qui pût dire qui c’étoit, » et il ajoute : « Il est difficile que la variété des visages, et la bigarrure de l’accoutrement de bien des gens peu faits pour le porter ne fournissent quelque objet ridicule qui ne démonte la gravité la plus concertée. Cela arriva en cette occasion où le Roi eut quelquefois peine à se retenir, et où même il succomba avec toute l’assistance au passage de je ne sais quel pied-plat à demi abandonné de son équipage[1]. »

Le Roi n’était pas seul à avoir droit à ces complimens muets. Les enfans de Monseigneur y avaient droit également. Mais irait-on chez ses frères et sœurs bâtards et bâtardes ? Le duc du Maine, toujours attentif « à pousser son bidet, » souleva la question, ou plutôt la fit soulever par le duc de Tresmes, qui était chargé, en sa qualité de gentilhomme de la Chambre en année, de donner les ordres pour les réceptions, et qui, « plus valet que nul valet d’extraction, étoit plus avide de faire sa cour et de plaire que le plus plat provincial. » Après une journée d’hésitation, le Roi résolut la question en faveur de ses bâtards. La décision fut connue à l’heure du dîner, c’est-à-dire à midi. La cérémonie commençait à deux heures. « Ainsi point de temps à raisonner, encore moins à faire, et on obéit, avec la soumission aveugle et douloureuse à laquelle on étoit si fort accoutumé. » Saint-Simon, dont l’indépendance d’esprit se venge dans ses Mémoires beaucoup plus qu’elle ne se traduisait dans sa conduite, obéit comme les autres, et, après s’en être quelque peu excusé, il fait cette observation : « Par cette adresse les bâtards furent pleinement égalés aux fils et aux filles de France et mis en plein parallèle avec eux[2].

Après la réception des courtisans, devait venir, suivant l’étiquette, celle du corps diplomatique et celle des grands corps de l’État, comme nous dirions aujourd’hui. Ces réceptions furent fixées au 27 avril. Ce fut une journée laborieuse. Avant son dîner, le Roi, qui s’était transporté à Versailles, entendit les com-

  1. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1856, t. IX, p. 177.
  2. Ibid., p. 176.