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considération, » le cardinal ajoutait : « Enfin un homme connu dans le monde, sur qui le miracle avait fait une vive impression, pressa le mari, par un mouvement de charité, de recevoir quelque argent. Le sieur de la Fosse, pénétré de reconnaissance de la grâce si surprenante faite à sa femme, répondit avec foi qu’il ne serait pas dit qu’il eût vendu les dons de Dieu. » L’homme connu dans le monde, Voltaire aurait pu dire en empruntant à Molière un vers du Misanthrope :


C’est moi-même, messieurs, sans nulle vanité,


et il est aisé d’expliquer la suite de sa lettre à Mme de Bernières. Il est allé, comme tant d’autres, visiter la miraculée du faubourg Saint-Antoine[1] ; il a manifesté hautement sa surprise, voire son admiration, et il a cru pouvoir offrir au mari une somme d’argent qui fut refusée. Mais comme une politesse en vaut une autre, on lui remit un exemplaire du mandement où il était parlé de lui, et « la femme au miracle, » Mme La Fosse en personne, vint le prier de vouloir bien assister le dimanche 26 août, presque au lendemain du jour où il écrivit à la présidente, au Te Deum solennel que la paroisse Sainte-Marguerite devait chanter à Notre-Dame en vertu du mandement du 10 août.

Voilà donc un premier fait bien établi. Qu’il ait ou non assisté à la cérémonie de Notre-Dame, Voltaire s’est donné, en août 1725, « un petit vernis de dévotion, » et qui plus est de dévotion janséniste. C’était de sa part une pure grimace, un avant-goût des trop fameuses pâques de Ferney, et s’il donnait ainsi des gages au parti janséniste, c’est évidemment parce qu’il avait intérêt à faire acte d’hypocrisie. Peut-être croyait-il pouvoir amadouer ainsi son frère aîné avec lequel il était en procès au sujet de l’héritage paternel ; peut-être aussi, et la chose est vraisemblable, si son frère et lui ne se voyaient plus, espérait-il se concilier, en faisant bien le janséniste, les bonnes grâces de quelque personnage influent de la magistrature ou du clergé. Bien fin qui

  1. « Je suis souvent chez la femme au miracle du faubourg Saint-Antoine, » écrivait Voltaire à Mme de Bernières le 27 juin 1T2Î5. — Dans le Siècle de Louis XIV, au chapitre du Jansénisme, il dit en propres termes : « Le Saint-Sacrement, porté dans le faubourg Saint-Antoine, à Paris, guérit en vain la femme Lafosse d’une perte de sang, au bout de trois mois, en la rendant aveugle. » La femme Lafosse, morte le 3 juin 1760, vivait encore, en très bonne santé, quand le Siècle de Louis XIV parut, et elle n’était point aveugle ; mais Voltaire savait bien qu’elle ne lirait pas son livre ; et voilà comme on écrit l’histoire !