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être ouvert, (comme c’était l’usage pour les rois et fils de roi), les uns disent par les frotteurs du château, les autres par des sœurs grises, les autres par les plombiers mêmes qui apportèrent le cercueil, et l’air de la chambre était si empesté, que seuls quelques subalternes et des capucins de Meudon se relevèrent pour prier auprès du corps. Monseigneur était mort dans la nuit du mardi au mercredi 15 avril. Le jeudi, son cercueil fut mis dans un carrosse du Roi dont on avait ôté la glace de devant, parce que le bout du cercueil dépassait. Le curé de Meudon y monta avec le chapelain en quartier. Ce carrosse était suivi d’un autre qui contenait le duc de la Trémoïlle, gentilhomme de la Chambre, l’évêque de Metz, premier aumônier de Monseigneur, Dreux, le grand maître des cérémonies, et l’abbé de Brancas aumônier de quartier. Pour se rendre à Saint-Denis on jugea préférable de ne point traverser Paris, tant en raison de la simplicité du cortège que « de l’effroyable douleur qui y régnait et qui, ajoute Sourches, alla jusqu’à faire dire bien des extravagances. » Escorté par des gardes du corps, par des valets de pied et par vingt-quatre pages du Roi portant des flambeaux, le lugubre cortège traversa presque de nuit le Bois de Boulogne, et, par Saint-Ouen, gagna Saint-Denis où le corps fut immédiatement descendu dans le caveau royal, sans aucune cérémonie.

Il fallait au moins racheter par la solennité des cérémonies suivantes la simplicité trop grande de cet ensevelissement précipité. Après quatre jours de réclusion à Marly où le Roi ne vit que Mme de Maintenon et la Duchesse de Bourgogne, et durant lesquels il s’occupa cependant de dresser les listes de ceux qui allaient être invités à y venir, il déclara que le lundi 20 il recevrait ce que Saint-Simon appelle « les complimens de tout le monde. » C’était l’usage en effet, lorsque quelque deuil survenait dans la famille royale que le Roi reçût, debout, la visite de tout ce qui composait la Cour. Chacun défilait devant lui, en silence, les femmes en mante, les hommes en grand manteau noir. Les femmes faisaient une révérence, les hommes un salut que le Roi rendait ou ne rendait pas, suivant la qualité des gens. Mais ce ne fut pas seulement tout Versailles et tout Marly, ce fut « tout Paris vêtu d’enterrement, » qui remplit les salons, car c’était une occasion unique de se montrer à la Cour et au Roi, dont profitèrent beaucoup de personnes qui n’y avaient pas droit,