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Mais si ces types moyens des futurs citadins ne sont encore qu’en formation, l’allure générale des collectivités dans leur vie quotidienne de la rue, s’est modifiée. Les mœurs extérieures des foules vivant en grandes agglomérations se différencient de moins en moins pour le voyageur qui passe ; les tons des divers tableaux se fondent, deviennent de plus en plus neutres. Les habitudes collectives de toutes les masses peuplant nos modernes cités s’identifient sous l’influence de besoins pareils ou sensiblement analogues, qu’on observe les sociétés compliquées de la vieille Europe ou les jeunes populations du Nouveau Monde, qu’il s’agisse d’exubérantes races méridionales ou des calmes et flegmatiques Anglo-Saxons.

Partout la vie des hommes devient plus fébrile sinon plus utile et plus douce ; entraînés par l’activité d’infatigables élites, les blasés, les inutiles et les snobs s’imaginent multiplier leurs sensations en s’agitant davantage, en changeant plus souvent de place. Une des manies que cette illusion inculque aux nouvelles générations est la hâte d’arriver. Nous l’entendons ici seulement au sens propre, sachant trop qu’au figuré ceux qui en sont le plus férocement possédés n’en veulent point convenir.

Cette manie, que l’esprit rassis de nos grands-parens eût tenue, pour une manifestation morbide, sévit à présent sur les citadins d’Europe comme sur ceux de l’Amérique du Nord. La gravité innée des Asiatiques y cédera tôt ou tard, car cette hâte brutale vers le but sera propagée chez eux à la fois par les inquiétans Nippons, qui rêvent de tirer de leur somnolence séculaire les vieilles nations de race jaune pour les dominer en les modernisant, et par les Américains, pressés de trouver, de l’autre côté du Pacifique, l’immense clientèle que convoite déjà leur insatiable industrie.

La folie de la vitesse qui pousse des gens du monde, habituellement fort amoureux de leurs aises et si soucieux de leur sécurité, à se lancer sur les routes, dans leurs indociles automobiles, monstres disgracieux, trépidans et empestans, à des allures auxquelles le moindre cahot risque d’être mortel, n’est sans doute que la forme aiguë de ce mal endémique, de cette volonté impérative de vertigineuse déambulation qui s’empare de toutes les foules urbaines.

Si l’on veut se rendre compte de la tyrannie qu’exerce ce besoin, après tout artificiel, sur les populations citadines,