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sur l’avenir. Les cellules de correction aux panneaux pleins ne recevaient le jour que d’une petite lucarne à tabatière. Les condamnés qui avaient entendu nos pas s’agitèrent, et, devinant qu’on les regardait, adressèrent à leur mur des salamalecs précipités.

Nous avions déjà parcouru presque tout l’établissement, et nous allions entrer à l’infirmerie, quand le directeur échangea quelques mots avec un Japonais, professeur de langues étrangères, qui se trouvait par hasard à Omuta et qui nous avait accompagnés. Nous rebroussâmes chemin et l’on me conduisit devant deux cages qui n’étaient occupées chacune que par un prisonnier.

Un coup de bâton sur les barreaux, et les deux hommes, vêtus de jaune, longues figures labourées, aux moustaches tombantes et aux yeux morts, se jetèrent à genoux et se prosternèrent si rudement que leur front heurta le bois du plancher.

— Voici, dit le directeur, un Capitaine et un Commandant de l’armée japonaise qui, à Formose, ont fui devant l’ennemi.

— Oui, ajouta le professeur, heureux de me prouver qu’il connaissait les finesses de notre langue, vous diriez en France qu’ils ont f… le camp !

— Relevez-vous ! cria le gardien.

Les deux hommes se redressèrent et reculèrent au fond de leur cage. Je m’étais éloigné. Cette exhibition m’avait été plus pénible que la vue des lépreux au temple de Kato Kiyomasa.

— Hé ! me dit le professeur, c’est ainsi que nous traitons les lâches. Et pourtant ces hommes étaient des samuraï, des nobles ! Ils ne se sont pas ouvert le ventre. Ils ont mieux aimé la prison : c’est dégoûtant !

Je le regardai : ses traits indiquaient un fils de paysan ; ses manières, un parvenu.

— Ils ont eu tort, lui dis-je, de ne pas se punir eux-mêmes.

— Et leurs soldats, répliqua-t-il, ont eu tort de ne pas les y contraindre. Je sais, moi, que dans la guerre de Chine, on a trouvé des officiers qui s’étaient passé leur sabre à travers le corps. C’était le lendemain d’une bataille. Leurs soldats, des hommes du peuple, n’avaient pas jugé qu’ils se fussent bien battus ; et, pendant la nuit, des sous-officiers étaient entrés sous leur tente et leur avaient fait comprendre que, dans l’intérêt du régiment, ils devaient disparaître, et qu’au surplus. s’ils n’en avaient