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Cependant de la chambre voisine, dont ne nous séparait qu’une cloison de papier, j’entendais des gémissemens rauques. Et, comme je m’étais approché du balcon de bois, qui fait le tour de la maison, j’aperçus dans cette pièce également ouverte une forme humaine étendue sous des couvertures, devant deux hommes accroupis et silencieux. Je voulus prendre congé :

— Ne partez pas si vite, me dit-il. Vous êtes ici chez vous et je tiens à vous offrir un vieux tabac, du tabac de cent ans !

— Mais vous avez un malade, lui répondis-je.

— Oui, fit-il, mon père est souffrant…

Son père agonisait !

Il me semble bien avoir lu quelque chose de semblable dans les Anciens. N’était-ce point ainsi qu’Admète recevait ses hôtes ? « Il ne convient pas que des hôtes entendent nos sanglots et soient attristés de notre deuil… Si j’avais repoussé de ma demeure l’hôte qui vient à moi, je n’en serais pas moins malheureux et je serais plus coupable d’avoir manqué aux devoirs de l’hospitalité… » Mais Admète était Admète, et j’avais en face de moi le plus moderne des officiers japonais


IV. — DE KAGOSHIMA A KUMAMOTO

De Kagoshima je gagnai, en compagnie du Père Raguet, un missionnaire belge, la grande ville centrale de Kumamoto.

D’abord, nous suivîmes des routes bordées de pins aussi hauts qu’elles étaient larges. Ces arbres n’y avaient pas été plantés à distances égales uniquement pour donner de l’ombrage. Jadis, pendant les guerres civiles, derrière la retraite précipitée du Daïmio, on les abattait sur la chaussée comme autant d’entraves au galop des ennemis. Puis nous entrâmes dans la région des collines, et, après plusieurs relais, nous atteignîmes la frontière des Satsuma, où naguère se dressaient les postes d’observation. Les maisons des samuraï, avec leurs enclos de bambou et leurs portes à auvent, y tranchent sur le dénuement des misérables huttes disséminées au milieu des rizières, Peu de villages ; très peu de chapelles. Des troupes de chevaux paissent aux flancs des hauteurs et s’enfoncent en galopant dans des gorges profondes. Le cratère du Kirishima fume à l’horizon. Sous l’éternelle menace volcanique, la nature, hérissée