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ou de haine, ce regard m’est aussi précieux qu’une étincelle à qui remue de la cendre.

Il y a une trentaine d’années, lorsque les missionnaires catholiques réapparurent, à peine tolérés par le gouvernement, quelques Japonaises visitèrent un matin leur chapelle et soudain, devant la statuette de la Vierge et de l’Enfant Jésus, elles manifestèrent une étrange émotion. On les interrogea, et l’on apprit qu’elles appartenaient à de vieilles familles chrétiennes qui, depuis deux cent cinquante ans, se léguaient, dans le mystère et le tremblement, des formules de prières, des rites devenus plus bizarres que des sorcelleries. L’image de la Vierge s’était ainsi transmise de nuit en nuit, de génération en génération ; et les derniers échos de la cloche portugaise ne s’étaient pas encore évanouis dans ce milieu fermé, lorsque les missionnaires français rebâtirent un clocher. Mais le souvenir des persécutions subsistait avec la même ténacité au cœur des gens de Nagasaki. Nulle part peut-être la propagande chrétienne ne rencontre plus de sourde hostilité. L’idée des sanglans maléfices reste associée au fond d’eux-mêmes à l’idée de l’Européen. Nous sommes toujours pour eux, et sans peut-être qu’ils s’en rendent bien compte, ceux dont il faut se méfier, ceux qui ont apporté sur leurs navires des causes de massacre et de terreur.

Et nous sommes aussi des gens grossiers, inhumains. Les vieillards vous parleront encore de la traite des esclaves que faisaient les Hollandais. Ah ! ces rares vieillards qui consentent à desserrer leurs lèvres, comme leurs paroles sont parfois instructives ! L’un d’eux, aussi maigre qu’un sarment de vigne où l’on aurait mis une robe à sécher, me racontait ses souvenirs mêlés du souvenir de ce qu’on lui avait raconté. Il insistait sur la saleté des matelots hollandais et sur la cruauté de leurs officiers. Les officiers frappaient les esclaves et les coolies comme des esclaves. Je croyais entendre un de ces « idolâtres » qui, indignés de la conduite des marchands portugais, demandaient aux missionnaires du XVIIe siècle « s’il fallait être chrétien pour se livrer à de si honteuses passions. »

Et le vieillard ajoutait :

— Depuis ce temps, je crois que vous avez fait des progrès.

C’est ce que nous disons souvent aux Japonais, en les félicitant…