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elles se coudoient, pour être les premières à recevoir les petits paquets de pain et de poisson ou de viande, que leur distribuent, aussi souvent qu’ils le peuvent, les Pères de la mission ! Et ces femmes ont bien raison d’être impatientes : car le nombre des paquets est, hélas ! limité, et c’est là l’unique nourriture qu’elles auront aujourd’hui pour elles et leurs enfans, avec une part réservée pour l’homme qui, ce soir, va revenir de l’éternelle recherche d’un ouvrage de plus en plus difficile à trouver. Ou bien voyez, lorsque l’un des Pères fait sa tournée chez ses paroissiens, comme les visages les plus sombres s’éclairent à son approche ! Et comme les enfans accourent à lui, pour avoir une caresse ou une bonne parole, et puis s’en retournent, ravis, à leurs jeux, car il n’y en a point de si affamé qui ne soit tout de même un enfant ! Les Pères vont et viennent, dans les rues sordides ; ils pénètrent, dans des logemens où nul autre étranger ne serait admis ; et les plus sauvages des oiseaux de nuit qu’ils rencontrent ont confiance en eux, et les accueillent amicalement. Mais c’est qu’ils ont baptisé ces misérables, les ont mariés, — parfois avec un douaire composé seulement d’une théière et de deux tasses ébréchées ; — c’est qu’ils les ont soignés dans la maladie, cette maladie fût-elle la petite vérole, et les ont instruits, et les ont nourris, et, en un mot, les ont aimés comme leurs enfans. »

Entrons, avec M. Cornford, dans une école des filles de l’Est de Londres, tenue par des Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul. L’école est une salle spacieuse et haute, très aérée, avec de longues rangées de pupitres qui peuvent s’abaisser et devenir des tables : car, l’hiver, cette salle est occupée tous les soirs par des femmes sans asile, que l’on reçoit pour la nuit. Deux cents petites filles viennent à l’école, chaque matin ; et un tiers d’entre elles, environ, déjeunent sur leurs bancs, avant de se mettre à l’étude ; et il y en a au moins un tiers qui arrivent trop tard pour le déjeuner, leurs parens ne pouvant les coucher qu’après minuit, quand ils rentrent eux-mêmes de leurs courses en quête d’un dîner. « Tendrement, les sœurs rassemblent ces enfans autour d’elles, les habillent et les nourrissent, leur apprennent quelque chose, et, surtout, leur révèlent la douceur d’avoir au monde quelqu’un qui les aime. Jardinières incomparables, elles arrosent et élèvent de leur mieux ces pauvres fleurs confiées à leurs soins. Mais il se trouve que, de jour en jour, la plus grosse part de leur œuvre est détruite par les parens. Et à mesure que le visiteur se familiarise avec les pâles visages des petites élèves, il est plus vivement saisi d’une étrange impression de beauté flétrie, de vie printanière minée sourdement.