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a-t-il pris part, lui-même, à l’enquête de Bermondsey ? Il ne nous le dit pas en propres termes, mais nous serions tentés de le supposer : car toute la seconde moitié de son livre, — sur « le chancre qui ronge le cœur » de la société anglaise d’aujourd’hui, — n’est employée qu’à nous décrire, avec une précision pittoresque, quelques-uns des « cas » les plus significatifs que cette enquête lui a révélés.

Voici, par exemple, un ouvrier peintre d’une quarantaine d’années, « un homme de taille moyenne, large d’épaules, avec une abondante chevelure touchée de gris, un honnête visage bien ouvert, et des yeux gris plein de vie. » Intelligent, actif, ingénieux, très adroit de ses mains, il occupe ses loisirs forcés à peindre des portraits, ou encore à exécuter un petit modèle d’église, avec un clocher pourvu d’une cloche, un autel, un orgue, une chaire, des portes et des fenêtres pouvant s’ouvrir à volonté. Cet « ouvrier sans travail » n’a aucun vice : il est prêt à faire tous les métiers, et, plus d’une fois déjà, il a montré qu’il était capable de réussir même dans des métiers qu’il ne connaissait pas. « C’est un habile et industrieux travailleur anglais d’une espèce qui est peut-être ce qu’il y a de meilleur au monde. De tels hommes sont rares ; et les monstrueuses conditions commerciales d’à présent, jointes au régime des trade-unions, sont en train d’achever de les supprimer. » Effectivement cet homme, lorsque M. Cope Cornford est venu l’interroger, n’avait plus eu d’ouvrage depuis plusieurs mois : il serait mort de faim, si sa femme n’avait pas trouvé une misérable place de cuisinière, à l’autre bout de Londres, avec des gages de huit shillings par semaine, dont cinq devaient servir à payer l’entretien de leur unique enfant. Engagé par le comité de Bermondsey, tous ceux qui l’ont vu au travail se sont accordés à faire son éloge ; mais l’engagement n’était que provisoire ; et maintenant, de nouveau, cet excellent ouvrier erre sur le pavé de Londres, trop heureux quand il peut trouver à peindre une enseigne, à décharger un bateau, à rapporter chez lui une demi-couronne, qui assure la vie du ménage pendant une semaine.

Voici un ouvrier chapelier de trente-trois ans qui, jusqu’en 1904, a travaillé dans la même maison pendant dix-sept ans. Il est marié et père de quatre enfans. Durant l’été de 1904, la maison où il travaillait s’est fermée : et, depuis ce moment, il ne lui a pas été possible de trouver la moindre occupation. « Il se levait très tôt, buvait une tasse de thé, obtenue en versant de l’eau sur des feuilles qui avaient déjà servi deux ou trois fois, et descendait dans la rue. Pas un magasin de chapeaux, pas un atelier, où il n’entrât, toujours pour recevoir