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gages d’enfans, jusqu’à l’âge de dix-huit ans environ, où l’on s’empresse de les renvoyer pour les remplacer par d’autres plus jeunes. Il y a ainsi des milliers de solides jeunes gaillards qui, ayant dépassé vingt ans, s’efforcent vainement de trouver un emploi, n’ayant appris que des métiers pour lesquels ils sont désormais trop vieux. Leurs parens les ont forcés à gagner de l’argent dès qu’ils sont sortis de l’école, afin que cet argent s’ajoutât au bloc commun. De cette façon, le jeune ouvrier anglais se trouve, après quelques années d’un gain misérable, absolument entraîné vers l’oisiveté. Mal nourri, mal conseillé, et désespéré, le pauvre garçon risque bien de se perdre avant d’avoir atteint l’âge d’homme.

Enfin on ne doit pas oublier, ni se dissimuler, que, même parmi les ouvriers les plus honnêtes, se rencontrent le manque d’économie, le goût de la boisson, l’absence plus ou moins complète de préoccupation de l’avenir. Ce sont aussi ces défauts qui, chaque jour, achèvent de ruiner les ouvriers, en leur faisant perdre tout l’argent versé par eux aux compagnies d’assurance, — car le non-paiement d’une seule prime suffit à annuler tous les paiemens antérieurs, — ou en les faisant exclure des trade-unions, qui effacent aussitôt de leurs listes tout ouvrier incapable de payer régulièrement sa cotisation.


Et la détresse de ces ouvriers honnêtes s’aggrave encore de la concurrence que leur font ces autres « ouvriers sans travail, » avec qui l’on a trop souvent l’habitude de les confondre : les fainéans et vagabonds qui ne consentent à travailler que lorsqu’ils ne trouvent absolument pas de moyen plus agréable de s’empêcher de mourir de faim. Ceux-là, d’ailleurs, n’ont jamais à craindre de mourir de faim. Infiniment moins nombreux que les ouvriers de la catégorie précédente, ainsi que le prouve bien l’enquête de Bermondsey, ils sont infiniment plus au courant des ressources qui s’offrent, chaque jour, à l’ouvrier pauvre. Quand une chance se rencontre de gagner quelques sous, ils la connaissent et la saisissent, ou la transmettent à des camarades de leur sorte. Ce sont eux qui profitent des asiles de nuit, des soupes populaires, de toutes les institutions charitables organisées pour les indigens dans les divers quartiers populeux de Londres. « Ces hommes sont une véritable malédiction pour la communauté aux dépens de laquelle ils vivent, comme des parasites. Toute mesure que l’on imagine pour améliorer le sort des ouvriers sans travail, ce sont eux qui en retirent le bénéfice, avant qu’elle puisse atteindre la classe d’ouvriers à qui l’on avait voulu qu’elle s’adressât ; et, comme le public ne voit qu’eux seuls, la misère de l’ouvrier malchanceux lui reste cachée. »


M. Cope Cornford, à qui nous devons ces renseignemens curieux,