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Il attaque les capitalistes et sauve le capital. Il part de la critique de l’individualisme et reste individualiste. Les économistes dissidens, Sismondi, Blanqui, Baret, acceptent et le laisser faire et l’intervention de l’État. La synthèse hégélienne finit même par se tourner en recette. On prend deux termes contradictoires : organisme et contrat, christianisme et rationalisme ; l’un reste substantif, l’autre devient adjectif, et l’on obtient : organisme contractuel, christianisme rationnel[1]. » Or concilier est chez Lamartine la démarche habituelle de l’esprit, et comme un besoin de nature. Parce qu’il est toute sympathie, il a une disposition à croire que philosophes, moralistes, sociologues peuvent aisément sympathiser : il n’est que de négliger et de laisser tomber tout ce qui les divise. Parce qu’il est optimiste, il aperçoit dans les doctrines leurs principes d’expansion, plutôt qu’il ne découvre leurs limitations. Ajoutez que, se tenant toujours à la surface, il ne se rend pas compte de la profondeur de certaines divergences et de la force de telles objections irréductibles. Il estime que sur quelque point que ce soit, si deux personnes ne pensent pas de la même manière, il faut qu’elles y mettent de la mauvaise volonté. Soyez donc de bonne volonté ! Ne rétrécissez pas le point de vue ! Élargissez ! Et de fait, il élabore une doctrine assez large pour que les penseurs, les plus hostiles les uns aux autres, s’y trouvent néanmoins à l’aise.

À ce travail d’élargissement deux circonstances ont contribué puissamment ; car Lamartine est le contraire d’un homme de pensée abstraite, et ses idées ont presque toujours leur point de départ dans les événemens de la vie. D’abord il a été très vivement impressionné par la Révolution de 1830. On a souvent signalé, on n’a jamais exagéré l’énorme contre-coup qu’eut dans le monde moral la secousse de Juillet. Pour Lamartine, ce fut l’édifice de ses idées et de ses croyances, un édifice peut-être fragile et miné déjà, qui s’effondra du coup. Il lui sembla que l’humanité était à une de ces époques critiques où tout se renouvelle pour s’améliorer. Au lendemain même de l’événement, il esquisse dans deux lettres très importantes, datées L’une et l’autre de 1830, sa théorie de l’utilité des révolutions. « La Révolution-principe est une des grandes et fécondes idées qui renouvellent de temps en temps la forme de la société humaine… l’idée de liberté et d’égalité légales est autant au-dessus de la pensée aristocratique ou féodale que le christianisme est au-dessus de l’esclavage

  1. Citoleux, p. 239.