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vers, à la manière de Voltaire ; et c’est là un des élémens qu’il importe de distinguer dans la poésie fort complexe des Méditations. La Mort de Socrate est un résumé de la philosophie de Platon, et nous y trouvons déjà exprimée l’une des idées, ou traduite l’une des rêveries, où Lamartine reviendra le plus fréquemment :


Peut-être qu’en effet dans l’immense étendue,
Dans tout ce qui se meut une âme est répandue ;
Que ces astres brillans sur nos têtes semés,
Sont des soleils vivans et des feux animés ;
Que l’Océan frappant sa rive épouvantée
Avec ses flots grondans roule une âme irritée…
Et qu’enfin dans le ciel, sur la terre, en tout lieu,
Tout est intelligent, tout vit, tout est un Dieu.


Les Harmonies ne sont que l’abondant et harmonieux développement d’un argument d’école : la preuve de l’existence de Dieu par les causes finales. Jocelyn et surtout la Chute d’un ange constituent la partie proprement philosophique de l’œuvre du poète. L’inspiration des Recueillemens procède essentiellement des mêmes idées auxquelles il s’est décidément rangé. Et ces dernières pièces où son génie, en dépit de la vieillesse, conserve toute sa vigueur, la Marseillaise de la paix, ou même la Vigne et la Maison et le Désert, ont encore un caractère philosophique.

Remarquons d’autre part que Lamartine a toujours été curieux de philosophie. Sa correspondance nous apporte à ce sujet un témoignage indiscutable. De bonne heure, il a été atteint par le tourment métaphysique, et c’est en 1812, à l’époque en apparence la plus frivole et la plus dissipée de sa jeunesse, que nous lisons, dans une de ses lettres intimes, cette déclaration d’une si éloquente sincérité : « Il est des choses plus relevées encore que l’ambition et la gloire, et qui m’occupent plus vivement et plus souvent. Que de nuages les environnent ! Quelle épouvantable obscurité ! Et que bienheureux sont les insoucians qui prétendent s’endormir sur tout cela ! Tu sais assez de quoi je veux parler. Il est bien aisé de rejeter des systèmes comme j’ai fait ; mais, s’il faut en bâtir d’autres, où trouver des fondemens ? Il me semble voir assez clairement ce qui ne doit pas être, mais pourquoi le ciel nous voile-t-il si bien ce qui est ? Ou du moins, puisqu’il a voulu que nous fussions d’éternels ignorans, à quoi bon l’insatiable curiosité qui nous dévore ? » Souvent dans ces lettres, dont plusieurs sont de véritables professions de foi, — et c’est bien ce qui ajoute tant de noblesse à cette correspondance d’ailleurs si variée et si charmante. —