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les pieds sur le sol vénézuélien, tandis qu’un autre met la main sur l’épaule du représentant de la France ; le capitaine, indigné, repousse le douanier et fait rentrer M. Taigny dans l’intérieur du bateau. Peu de temps après, l’agent de la Compagnie transatlantique informe le capitaine que le chargé d’affaires de France est consigné à bord et qu’au cas où il tenterait de revenir à terre, la Compagnie en serait rendue responsable et son agent incarcéré. Ni l’agent consulaire de France à la Guayra, ni le vice-consul à Caracas ne sont autorisés à voir M. Taigny qui, privé de son chiffre, ne peut déchiffrer ses dépêches ; seul le consul des Etats-Unis est admis, quelques minutes avant le départ du bateau, à s’entretenir quelques instans avec le chargé d’affaires de France. — Dès qu’il apprit cet attentat au droit des gens, le gouvernement français fit accompagner jusqu’à la frontière belge M. Maubourguet, chargé d’affaires du Venezuela à Paris.


V

Les choses en sont là. Le dictateur se vante d’avoir pris M. Taigny « comme un rat dans un piège, » il expulse le personnel de la Compagnie des câbles, il retire l’exequatur à nos agens consulaires et rappelle les siens ; fier de ses exploits, il se flatte de tenir en échec la France et les Etats-Unis comme naguère l’Angleterre, l’Allemagne et l’Italie ; il proclame qu’il chassera les étrangers, Européens ou Nord-Américains ; il fait parader ses bandes fidèles et fourbir les canons de ses ports ; il emprisonne ou moleste tous ceux qu’il soupçonne de lui être hostiles ou de désapprouver ses violences. Le commerce est paralysé, le pays dans la terreur, les étrangers dans les transes et le Président dans la joie. Il se pourrait que le réveil fût moins brillant, car l’argent va bientôt manquer et, sans argent, point de fidélités ; de tous les côtés, le mécontentement grandit, la révolution se prépare et l’on attend avec une anxieuse espérance ce que va faire la France.

Mais que fera-t-elle ? Sans doute, les incidens vénézuéliens n’ont pour elle qu’une importance secondaire ; sans doute il ne saurait appartenir à Castro de lui imposer par ses provocations l’heure à laquelle elle jugera opportun d’intervenir. Mais encore faut-il qu’on ne puisse douter que, le moment