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suivant et fut appelé à donner des explications au département sur les circonstances dans lesquelles il avait été amené à envoyer des dépêches à Matos ; il y eut, le 24, un échange de télégrammes entre le Quai d’Orsay et la Légation de France à Caracas ; le 25, M. Quiévreux fut trouvé asphyxié dans sa chambre par un fourneau à gaz dont le robinet était resté ouvert. On fit courir le bruit d’un suicide ; si le fait était vrai, le malheureux jeune homme aurait en vérité payé trop cher une imprudence qu’il ne faut pas juger sans tenir le plus grand compte de ce qu’est la vie politique dans un pays où l’insurrection de la veille devient si vite la « légalité » du lendemain et où l’ « ordre » est représenté par un Castro.

Nous entrons ici dans la période tout à fait récente de cette tragi-comédie. Le double procès intenté à la Compagnie des câbles devient, entre les mains de Castro, une arme politique dont il se sert avec une habileté et une absence de scrupules également indéniables. En même temps qu’il entame, à Caracas, la procédure contre la Compagnie, il commence, à Paris, toute une série de négociations financières. Il cherche d’abord, sur les marchés d’Europe, un concours pour réaliser la consolidation et l’unification des anciennes dettes vénézuéliennes ; par le « contrat Velutini » (7 juin 1905) il parvient à conclure cette opération en ce qui concerne la dette dite anglaise 3 pour 100 et la dette allemande dite de la Disconto Gesellschaft (5 pour 100, 1896) ; mais il rêve de fortifier son pouvoir et de réaliser ses « réformes » en fondant une banque d’État et en établissant le monopole des cigarettes ; il lui faut pour cela environ 80 millions ; il s’adresse à plusieurs sociétés de crédit parisiennes qui se montrent disposées en principe à étudier l’affaire. Le procès intenté à la Compagnie des câbles sert à Castro d’argument pour peser sur le gouvernement français, — qui donne à la Compagnie des câbles une garantie d’intérêts, — et pour obtenir de lui qu’il ne fasse pas d’opposition à ses plans financiers ; selon les fluctuations de ses négociations avec les banques, il accélère ou retarde à son gré la marche du procès et tient toute prête, soit une sentence rigoureuse que ses tribunaux rendront sur son ordre, soit une transaction avantageuse. Si ses projets réussissent, il est sûr d’y trouver un moyen de donner satisfaction à la Compagnie, soit en lui rachetant son câble côtier, soit en concluant avec elle un nouveau contrat ; si on s’arrange sur le premier procès et si on rachète le câble côtier, comme Castro le propose, il sera