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subissent. Au demeurant, quelle que soit l’issue, les abus restent les mêmes ; seulement c’est une équipe nouvelle qui en profite : la révolution n’est qu’un changement de personnes.

Tel est à peu près le régime du Venezuela : la tyrannie tempérée par l’insurrection. Bolivar lui-même, le libérateur, le héros, n’a-t-il pas dû, un jour d’émeute, se cacher sous un pont pour échapper à la furie de ses compatriotes ; mais, dans l’Amérique du Sud, on n’attache pas à ces accidens plus d’importance qu’il ne faut ; ce sont là risques professionnels qui n’empêchent pas la place d’être enviée, et le métier lucratif. L’histoire du Venezuela est faite d’épisodes de ce genre. De 1870 à 1888 une prospérité et un ordre relatifs s’établissent, grâce au gouvernement ferme de Guzman Blanco ou de ses créatures ; dans l’intervalle de ses présidences, le dictateur représente le Venezuela en France, il y devient ce que les journaux appellent « une personnalité bien parisienne ; » mais, après lui, le Venezuela rentre dans une série de révolutions et de coups d’Etat : de 1897 à 1902 seulement, sept révolutions réussissent, sans compter les tentatives avortées et les complots éventés. En 1890, contre Palacio, qui cherche à proroger illégalement ses pouvoirs, Crespo se dresse comme vengeur de la loi et champion des libertés ; il l’emporte : les pires concussions, les abus les plus odieux, les violences les plus injustes signalent son passage ; il finit par être tué tandis qu’il guerroie pour soutenir une de ses créatures, le président Andrade. Contre cet Andrade, dont la politique tortueuse irrite tous les partis, le général des conservateurs, Hernandez, conduit péniblement la lutte, quand tout à coup, au mois de mai 1899, du fond de l’Etat des Andes, surgit un troisième concurrent, le général Cipriano Castro, celui-là même avec qui la France a maille à partir.

Castro était marchand de mulets et menait depuis plusieurs années une rude vie parmi les éleveurs de bétail, moitié bergers, moitié brigands, qui pullulent dans les llanos, aux confins des Andes, lorsqu’il recruta parmi ces audacieux gaillards quelques bandes de partisans résolus avec lesquels il marcha directement sur Caracas et remporta la victoire décisive de Tocugito ; le 23 octobre 1899, il était maître de la capitale. Courtaud, noiraud, la physionomie d’une laideur énergique et vivante, un front déprimé, des yeux injectés et bilieux, des lèvres fortes qui décèlent le mélange de sang indien, la