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Angleterre. En ne désarmant pas, la Russie se préparait de nouveaux déboires et se mettait elle-même dans l’impossibilité de se soustraire à la paix qui fut signée en 1807 à Tilsitt.

Déçu dans ses illusions et découragé par l’inutilité de ses patriotiques efforts, Paul Strogonof n’avait pas -attendu cet événement pour abandonner la carrière diplomatique. Le 16 mars, il s’était mis en route avec l’Empereur pour rejoindre l’armée. En y arrivant, il sollicita l’autorisation de s’engager comme volontaire. Elle lui fut accordée, « bien qu’à regret, » nous dit son éminent historien. Dès lors, il se voua d’une façon définitive à la carrière militaire où, jusqu’en 1814, il allait rendre de nouveaux et glorieux services à son pays.

Ce n’est pas une chose peu surprenante de voir un personnage aussi considérable que l’était le comte Strogonof s’engager dans l’armée sans avoir pris la précaution de s’y faire assurer un grade en conformité avec le rang qu’il occupait dans l’Etat comme conseiller privé et sénateur. Mais il ne faut pas oublier qu’on était dans un pays et dans un temps qui virent des choses plus extraordinaires encore. Strogonof avait agi, en quittant la diplomatie, sous l’influence de la déception que lui causait la tournure prise par les événemens. Il n’aimait pas la France ; Napoléon lui inspirait une véritable haine et les dispositions du Tsar lui faisaient craindre d’être contraint d’entrer en rapport avec « le Corse » qu’il considérait comme l’ennemi de l’Europe et de la Russie. Tout lui semblait préférable à cette humiliation et il n’était pas le seul parmi les conseillers d’Alexandre qui la redoutât. Il y avait alors à Saint-Pétersbourg tout un parti qui prêchait le rapprochement avec l’Angleterre. Strogonof y tenait une place importante et avec tant d’éclat que, dans le parti contraire, on lui reprochait son anglomanie. Ce fut le principal motif de sa résolution. Il voyait en outre se retirer de lui la faveur d’Alexandre. Ce prince ne se distinguait pas, — et cela résulte des commentaires du grand-duc Nicolas, — par son empressement à témoigner de la gratitude à ceux dont il avait eu à se louer. Parlant de son état d’âme à la veille de Tilsitt et alors que, par un dernier effort, il disputait à Napoléon, les armes à la main, la suprématie en Europe, un de ses historiens fait la remarque suivante : « Les hommes qui l’avaient servi avec mérite furent écartés ou se retirèrent d’eux-mêmes. » C’est ainsi que Paul Strogonof s’éloigna de lui et, ne voulant solliciter que