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profonde et la plus étendue. J’hésiterais moins, si j’étais Anglais ; — et je nommerais Charles Darwin !

Mais, pour nos Français, je le répète, je n’en vois pas dont l’influence ait été plus active que celle de Balzac, ni qui soit encore aujourd’hui plus « actuelle, » ni qui doive, sans doute, en raison de son caractère d’universalité, s’exercer plus longtemps !

Je n’exprime point ici de préférences, et surtout je ne donne pas de rangs ! Je ne fais que des constatations. Chacun de nous garde aussi le droit de préférer, s’il lui plaît, le poète inspiré des Méditations, si naturel, — naturel jusqu’à la négligence, — au poète laborieux et déjà tourmenté des Orientales et des Feuilles d’automne. Combien encore dans les Nuits de Musset, la passion n’est-elle pas plus sincère que dans les poésies amoureuses d’Hugo ! Et combien la pensée du grand poète incomplet de la Colère de Samson et de la Maison du Berger n’est-elle pas plus haute, plus noble, et surtout moins banale, que celle du prodigieux ouvrier de la Légende des Siècles ! Il y a encore d’autres veines dont on ne trouve presque pas de trace dans l’œuvre gigantesque ou cyclopéenne d’Hugo. Le grand maître du romantisme n’a pas, si je puis ainsi dire, absorbé tous ses hérétiques ; et, en dehors de son influence, on en pourrait signaler non seulement qui n’ont pas cédé devant la sienne, mais encore qui l’ont contrariée. Cependant, il n’en demeure pas moins vrai qu’à distance, aucune influence littéraire, pendant le cours entier du siècle qui vient de finir, n’aura égalé la sienne ; qu’on le retrouve partout, je veux dire chez ceux-là mêmes qui l’auront subie le plus involontairement ; et que, dans l’avenir, comme dans la réalité du passé, le « romantisme » ce sera lui.

A l’autre pôle de la pensée contemporaine, — et de l’expression, — Auguste Comte sera le « positivisme, » philosophe aussi profond que le grand poète serait superficiel, si la qualité de l’invention verbale n’avait souvent, chez Hugo, suppléé l’insuffisance de l’idée. Car les mots expriment des idées, encore que plusieurs de ceux qui les entrechoquent ne s’en rendent pas toujours très bien compte ; et on pense, rien qu’en « parlant, » quand on « parle » comme Hugo, avec ce sentiment, qui fut le sien, de la profondeur des vocables, et ce don prodigieux d’en faire surgir des « correspondances » inconnues.

Et dirai-je maintenant qu’« entre » le romantisme et le