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Zaïre et d’Alzire écrivait mieux que l’auteur de Polyeucte et du Cid ; Condorcet écrivait mieux ou aussi bien que Pascal. Je ne parle pas de Saint-Simon, dont les Mémoires firent scandale, quand ils parurent, en 1824, — combien mutilés cependant ! — et que les classiques du temps les accueillirent comme quelques lecteurs de nos jours apprécient encore le style de Balzac.

Mais le romantisme, et surtout Balzac, ont changé tout cela ! La question qui domine toutes les autres est aujourd’hui de savoir ce que s’est proposé l’écrivain, et lorsque, comme Balzac, ce n’est pas « la réalisation de la beauté, » mais « la représentation de la vie, » nous nous sommes rendu compte que, dans ce cas particulier, nous ne saurions exiger dans l’image les qualités qui ne sont pas du modèle. Ce que nous avons donc à nous demander d’abord, ce n’est pas si le style de Balzac est « correct » ou s’il est « pur, » mais s’il est « vivant, » ou plutôt s’il « fait vivre » ce qu’il représente ; et le reste ne vient qu’à la suite. Veut-on là-dessus que George Sand « écrive mieux » que Balzac ? Nous le voulons donc aussi, et nous avons commencé par le dire ; mais, de tous les personnages qui traversent les romans de George Sand, en connaissez-vous un qui soit aussi « vivant » que les personnages de Balzac ? C’est toute la question ! Et la réponse est devenue facile. Si le style de Balzac anime et vivifie, je ne sais par quels moyens à lui, tout ce qu’il a voulu représenter, il a donc atteint son but, et Balzac, à vrai dire, ni « n’écrit mal, » ni « n’écrit bien, » mais il écrit « comme il a dû écrire ; » et, on ne saurait, sans contradiction, lui reprocher, je dis même des « irrégularités, » qui peut-être sont la condition de la « vie » de son style.

Ce que l’on peut seulement dire, — du point de vue de l’histoire de la langue, — c’est que la Comédie humaine, tout en contribuant à modifier profondément l’idée qu’avant elle on se faisait du style, n’a point marqué ni ne marquera dans l’avenir une époque de l’évolution de la langue ; et c’est précisément en ceci, que, comme écrivain, Balzac n’est pas du « premier ordre. » Les écrivains du premier ordre sont ceux qui, sans troubler le cours d’une langue, ni le détourner de sa direction séculaire, le modifient ; et, d’un instrument consacré par la tradition, nous enseignent à tirer des accens nouveaux. Tel un Ronsard au XVIe siècle ; un Pascal au XVIIe siècle ; et, au XIXe siècle, un Chateaubriand ou un Victor Hugo. Comment cela ? Par quels