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Balzac « ait su sa langue aussi bien que personne, » ni que ses Contes drolatiques suffisent à en faire la preuve, l’auteur de la Comédie humaine est sans doute un autre « écrivain » que l’auteur des Mystères de Paris, par exemple, ou même, — puisqu’on son temps, on a semblé prendre plaisir à le lui opposer, — que le sec et prétentieux auteur de Carmen et de Colomba. Comment donc se fait-il que, de nos jours mêmes, ce reproche d’« avoir mal écrit » revienne sous la plume, et surtout sur les lèvres de beaucoup de lecteurs, qui l’aiment cependant ; qui ne croient point avoir de « préjugés » sur la question du style ; et qui sans doute n’expriment ainsi que leur ennui d’avoir été gênés dans leur lecture de Balzac, — d’Eugénie Grandet, de César Birotteau, du Cousin Pons, — par quelque chose, ils ne savent quoi, dont ils ne se rendent pas compte, et qu’ils imputent, comme on fait toujours en pareil cas, à l’imperfection de l’écrivain ?

L’une des raisons en est que Balzac lui-même, — non pas tout seul, mais d’accord avec une partie de l’opinion de son temps, — a contribué plus que personne à modifier profondément la notion même de style ; et cette modification n’est pas encore aujourd’hui tout à fait consacrée. On s’entendait jadis sur les caractères d’un « ouvrage bien écrit, » et quelque définition que l’on donnât du style, — car elle pouvait varier d’une époque ou d’une école à une autre, comme la définition de l’art, — elle était commune à la critique et aux auteurs. On écrivait donc bien, quand on écrivait correctement, c’est-à-dire conformément aux lois de la grammaire ; — purement, c’est-à-dire avec des mots dont la ville et la Cour avaient fixé le sens et la nuance ; — et clairement, c’est-à-dire en évitant les amphibologies, les fâcheuses rencontres, ou de sens ou de sons, si faciles à faire en français. À ces qualités si d’autres qualités s’ajoutaient de surcroît, elles étaient particulières ou personnelles à l’écrivain : à celui-ci, le don de penser par images, et, à celui-là, le don de communiquer à sa phrase le mouvement de sa pensée ; l’esprit à l’un, c’est-à-dire une façon légèrement détournée de dire les choses, et le relief ou la couleur à l’autre, c’est-à-dire, en décrivant l’objet, le don de le faire voir. Mais la correction, la pureté, la clarté demeuraient toujours les qualités maîtresses ; et quiconque ne les possédait pas, « écrivait mal » ou « n’écrivait pas. » En ce sens, à ce titre, pour toutes ces raisons, il était entendu que Regnard et Le Sage écrivaient mieux que Molière ; l’auteur de