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en fallait voir l’idéale expression dans les aveux de Mme de Mortsauf ou dans les lettres de Mme de Lestorade ? La Vieille Fille est quelque chose de plus déplaisant encore ; et, réflexion faite, nous avons eu tort de reprocher plus haut à Balzac ce que l’exécution en a de caricatural, si c’est, en y songeant, ce qui sauve uniquement son sujet d’être odieux.

Il n’aimait pas qu’on l’attaquât sur ce point, qu’il sentait ou qu’il savait faible ; et, aux reproches de ce genre, il répondait par Louis Lambert et par Séraphita. Mais l’esprit de mysticisme n’est ni l’esprit de distinction, ni l’esprit de délicatesse ; et, s’il est peut-être « aristocratique, » ce n’est pas dans le sens ordinaire du mot. L’exception en tout est toujours « une » distinction, elle n’est pas « la » distinction ; et on peut être exceptionnel, ou unique en son genre, comme Balzac précisément, sans en être moins « vulgaire » ou plus « distingué. » Aussi ne sont-ce pas seulement les plaisanteries de Balzac qui sont lourdes, ce sont encore ses madrigaux ; et c’est également le galimatias qu’il nous donne, — dans ses Mémoires de deux jeunes Mariées, par exemple, sous la plume de Mme de Macumer, — pour l’hymne de l’amour triomphant. Les parties sentimentales sont faibles, très faibles, dans la Comédie humaine, — comme elles le sont dans Molière, mais Molière n’était qu’un auteur comique ! — et, de toutes les passions humaines, celles que ce grand peintre des passions a sans doute le moins bien « représentées, » ce sont les passions de l’amour.

Mais qu’importe ? et quand on signalerait d’autres lacunes ou d’autres défauts encore dans la Comédie humaine, ce n’est point ainsi, — par doit et avoir, — que s’établit la valeur d’un grand écrivain. La postérité a tôt fait d’oublier les défaillances d’un Balzac pour ne se souvenir que de ses chefs-d’œuvre, et le « réaliser » lui-même en eux, quand il en a laissé ! Ars longa, vita brevis ! La vie est si courte et l’art si difficile qu’on ne demande même rien moins à un « bel ouvrage » que d’être un ouvrage parfait ; » et ni les folies sanguinaires au milieu desquelles su déroule l’action du Roi Lear, qui n’est pas « une action, » ni les préciosités écœurantes que Shakspeare a mises dans la bouche d’Hamlet, n’empêchent Hamlet et le Roi Lear d’être les chefs-d’œuvre qu’ils sont ! Pareillement, il suffit à la gloire de Balzac qu’il soit l’auteur d’Eugénie Grandet, de certaines parties du Père Goriot, de la Recherche de l’absolu, de