Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/333

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Anatomie des corps enseignans. Cette « anatomie » eût sans doute été pathologique.

Un autre défaut des quatre-vingt-dix-sept ouvrages, romans ou nouvelles, qui composent la Comédie humaine, c’en est la prodigieuse et choquante inégalité. La faute en est sans doute aux étranges et furieux procédés de travail qui furent ceux de Balzac, et aux conditions plus qu’anormales d’improvisation, de hâte, et de fièvre dans lesquelles on sait qu’il a dû mettre son œuvre au monde.

Voici, par exemple, la Femme de trente ans : c’est un récit d’environ deux cent cinquante pages, qui se compose aujourd’hui de six chapitres. Le premier de ces chapitres, intitulé le Rendez-vous, avait paru dans la Revue des Deux Mondes, aux mois de septembre et octobre 1831 ; et le second ne s’y est ajouté, sous le titre de Souffrances inconnues, qu’en 1835, dans la troisième édition des Scènes de la vie privée. Mais, auparavant, le troisième, intitulé A trente ans, avait paru dans la Revue de Paris, au mois d’avril 1832 ; le quatrième : le Doigt de Dieu, dans la Revue de Paris également, au mois de mars 1831 ; le cinquième, intitulé : les Deux rencontres, en janvier de la même année ; et enfin, le sixième : la Vieillesse d’une mère, en 1832, dans la deuxième édition des Scènes de la Vie Privée. Quelle espèce d’unité peut offrir un récit composé de la sorte, au hasard d’on ne sait quelles circonstances ? Et le miracle n’est-il pas qu’en de semblables conditions l’un des premiers souvenirs que le seul nom de Balzac évoque dans les mémoires, — à tort d’ailleurs ! car de six chapitres il y en a quatre et demi d’exécrables, — ce soit celui de la Femme de trente ans ?

Prenons maintenant les Employés : « Imprimé pour la première fois dans la Presse, du 1er au 14 juillet 1837, sous le titre de la Femme supérieure, ce roman, nous dit M. de Lovenjoul [Histoire des Œuvres de Balzac, 132, 133], parut pour la première fois en volume chez Werdet, 2 vol. in-8o, en octobre 1838 : il portait ce même titre, mais la version du journal était augmentée d’une conclusion inédite, et de la dédicace actuelle. » Il reparut, en 1846, dans la première édition de la Comédie humaine, et Balzac y intercala « quelques fragmens de la Physiologie de l’Employé. » Mais il n’en put effacer les traces d’improvisation, et nous, tout en le regrettant, nous y gagnons que nulle part peut-être, — pas même dans le Cousin Pons ou dans les Paysans,