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plus justes que l’on s’est formées de ce qu’il y a d’essentiel dans la vie de l’humanité, et qui n’est pas, dit-on, de savoir en quelle année naquit Louis XIV, ni comment et par qui fut gagnée la victoire de Denain. Mais, comment et pourquoi des curiosités nouvelles se. sont éveillées dans les esprits, c’est ce que toutes ces raisons, qui ne sont point des raisons ou des causes, mais plutôt elles-mêmes des effets, ne nous expliquent pas ; et c’est encore ici que nous retrouvons l’influence de Balzac. Le roman de Balzac a rendu à l’histoire ce qu’il avait lui-même reçu du roman historique. Walter Scott avait enseigné à Balzac le prix et la signification de tous ces minces détails que l’on avait regardés jusqu’à lui comme vulgaires et indignes de l’attention du romancier. Balzac a enseigné à la nouvelle école historique que, de même qu’on ne pouvait « représenter la vie, » dans le présent, qu’avec l’aide et par le moyen de ce genre de détails, ainsi ne pouvait-on, sans recourir à eux, « la ressusciter dans le passé ; » — ce qui sans doute est l’objet de l’histoire.

C’est ce que l’on voit bien dans l’œuvre historique des frères de Goncourt, si supérieure, et cependant tout à fait analogue, à leur œuvre de romanciers. Dans leur histoire de la Société française pendant la Révolution et Sous le Directoire, — comme dans les monographies qu’ils ont consacrées à Madame de Pompadour et à la Saint-Huberti, à Madame du Barry et à Sophie Arnould, — ils ont appliqué les mêmes procédés qu’à la composition de leur Renée Mauperin ou de leur Germinie Lacerteux ; et ces procédés leur venaient du roman de Balzac.

Sur un sujet, ou sur un personnage et une époque donnés, réunir et assembler tout ce qu’il y a de détails épars et en général peu connus, dans les Mémoires, dans les Correspondances, dans les libelles, dans les rapports de police, voire dans la collection des « affiches » et des journaux du temps ; — rapprocher tous ces documens, les confronter, les rectifier au moyen les uns des autres, les concilier quand ils se contredisent, les cataloguer, les classer et les interpréter ; — joindre à ces témoignages, qui sont ceux de l’écriture, ceux de l’iconographie et qu’on ne rencontre pas seulement dans les Musées, mais chez le marchand de bric-à-brac, sous la forme de faïence peinte ou de manche de parapluie ; — reconstituer le décor autour des personnages, et les reconnaître ou les deviner dans le choix de leur mobilier, dans la couleur des tentures et dans le profil des