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romancier n’a cure ; les deux esprits ne sont pas de la même famille ; mais ils ont des curiosités analogues : de physiologiste et de médecin. S’il existe un style « aussi brisé par places et plus amolli que le corps d’un mime antique, » il se peut que ce soit celui de Balzac, mais c’est aussi le style de Sainte-Beuve. Et, tous les deux enfin, ce qu’ils ont poursuivi, par des moyens dont ce style, chargé de métaphores, n’est lui-même qu’une conséquence, c’est la « représentation » ou la « reproduction de la vie. »

Là est le secret de leur influence ; et, en ce qui regarde plus particulièrement Balzac, peut-être est-ce pour cela que son influence s’est exercée sur la vie avant de s’exercer sur la littérature. « Le romancier commence, — disait encore Sainte-Beuve, témoin attentif et intéressé de la transformation, — il touche le vif, il l’exagère un peu ; la société se pique d’honneur et exécute ; et c’est ainsi que ce qui avait pu paraître d’abord exagéré finit par n’être plus que vraisemblable. » La Comédie humaine a transformé les mœurs avant de renouveler le théâtre, le roman et l’histoire. Comment cela ? le subtil critique vient de nous le dire ; et en quoi ? c’est ce que nous avons ailleurs essayé de dire en considérant la portée sociale de l’œuvre. Une transformation préalable des mœurs a seule rendu possible le renouvellement du théâtre, du roman, et de l’histoire sous l’influence de Balzac.


II

Le renouvellement du théâtre, une critique un peu complaisante l’a daté pendant longtemps de 1852 ou de la Dame aux Camélias ; et Alexandre Dumas fils ne disait pas le contraire ! Mais, en réalité, la Dame aux Camélias, adaptation du thème classique de la « courtisane amoureuse » aux exigences du boulevard ou de Tortoni, n’a rien renouvelé du tout, ne contenant elle-même rien de neuf, et n’étant, à vrai dire, que du romantisme « bien parisien. » Les pièces qui ont vraiment renouvelé le théâtre, aux environs de 1856 ou de 1857, sont des pièces comme les Faux Bonshommes, de Théodore Barrière ; le Demi-Monde, d’Alexandre Dumas fils ; les Lionnes pauvres, d’Emile Augier, ou encore son Mariage d’Olympe ; — et l’influence de Balzac y est manifeste.

Ceci est d’autant plus remarquable que Balzac lui-même,