Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/295

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

assez longtemps encore parmi les principicules d’Allemagne ou d’Italie.

Le temps vint aussi où les burgraves eurent peine à tenir tête aux Electeurs et les hobereaux à leurs ducs chefs de province, au-delà du Rhin, En France, jusqu’à ce que les grandes armées, le canon et l’infanterie eussent annihilé ce capitaine de cavalerie qu’était le sire féodal, ses expéditions militaires avaient surtout un caractère financier. Quelques châtelains, ligués contre une cité populeuse du voisinage, ne pouvaient, avec les deux ou trois cents combattans dont ils disposaient, avoir la prétention de s’en emparer, pas plus qu’ils ne pouvaient s’assujettir un morceau un peu ample du plat pays. Ils se contentaient de piller l’une et de grappiller sur l’autre. Cela leur était facile et recommençait sans cesse. De là vient que les mêmes villes, les mêmes provinces bravaient avec succès les armes d’un prince puissant et ne pouvaient venir à bout de seigneurs médiocres du terroir. C’est que le premier visait à la domination, tandis que les seconds se bornaient à la rapine.

Avec le XVIIe siècle apparurent de nouveaux types de capitaux et de revenus, dont les uns se sont perpétués et accrus jusqu’à nos jours, — rentes sur l’Etat, sociétés par actions, — et dont les autres ont été abolis en 1789 : fonctions vénales, bénéfices ecclésiastiques, commandites pour la prise à bail des impôts.

Le receveur municipal de Saintes, qui n’avait hérité de ses parens que 10 à 15 000 francs de « légitime, » meurt en 1648, laissant 2 250 000 francs, acquis en moins de trente-cinq ans, « étant, dit un contemporain, grandement laborieux et homme d’esprit. » Sa fortune se décomposait ainsi : une maison à Saintes, 90 000 francs ; ses offices de receveur ancien, alternatif et triennal des deniers communs de Saintes, 540 000 francs ; son office de secrétaire du Roi en la chancellerie de Bordeaux, 100 000 francs ; l’office de lieutenant criminel en Guyenne, acheté par lui pour son fils et payé 270 000 francs ; sa terre de Retaille, près Bordeaux, seigneurie dont il avait pris le nom, 270 000 francs ; enfin en marais salans, sel, argent, meubles et « obligations, » — créances diverses, — 450 000 francs.

Tels étaient, au début du règne de Louis XIV, les élémens d’une richesse bourgeoise. On voit combien les charges vénales y tenaient de place et quel haut chiffre elles atteignaient. Ces