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Peut-être pourrait-il financer ; mais c’est un bon mari, un bon père ; s’il paie, il va ruiner les siens, il discute. La lutte continue ainsi, sournoise et âpre, à qui lassera la patience de l’autre. Et cela pendant des années, pour de très grands personnages comme pour des paladins de moyen état. Charles, duc d’Orléans, fut prisonnier vingt-cinq ans en Angleterre, le duc Jean de Bourbon mourut en 1434, après dix-huit ans de captivité. Le duc de Bar, le roi René de Provence, restèrent aussi de très longues années en geôle. La rançon de ce dernier, détenu par le duc de Bourgogne, monta à 5 millions et demi. C’était plus que les deux rançons de Du Guesclin qui s’élevèrent ensemble à 4 860 000 francs (1364 et 1367). Mais c’était peu de chose auprès de la rançon de saint Louis : 22 500 000 francs (1260), de celle du roi Jean le Bon : 72 000 000 de francs (1360), et de celle de François Ier : 64 000 000 de francs (1529). Il est vrai que, de ces deux dernières, l’une fut demandée, l’autre fut promise, mais ni l’une ni l’autre ne furent payées.

Les chevauchées, les assauts, la vie errante, les grands coups d’épée, c’est le côté brillant de la guerre chevaleresque, où se complaisent les chroniqueurs ; mais la vie précaire, l’insécurité constante, la ruine et les longues prisons, voilà qui obscurcit singulièrement ce clinquant du moyen âge et voilà de quoi les histoires ont peu parlé.

D’aucuns, ayant eu la malchance d’être plusieurs fois appréhendés à la guerre, se trouvent avoir vécu plus longtemps sous les verrous qu’à l’air libre, comme les malfaiteurs récidivistes d’aujourd’hui. Mais aussi ceux-là deviennent vite millionnaires qui encaissent ces belles rançons de plusieurs centaines de mille francs, ou s’adjugent par le sort des armes qui l’arrondissement, qui le canton de leurs rivaux, avec leurs coffres pleins de bijoux, d’objets précieux, de monnaies d’or et d’argent.

Ce que les rois de l’Europe faisaient en grand, parce qu’ils étaient plus grands, et ce à quoi l’histoire a donné le nom de « conquête, » de « réunion à la couronne, » c’était aussi ce que les hommes valeureux et entreprenans faisaient en plus petit, parce qu’ils étaient moindres, et chacun suivant sa taille : acquérir des richesses, territoriales et mobilières, par l’audace et le courage. Et ce mode d’acquisition, qui eut pour nous un air de rapine et de brigandage, à partir du moment où les mœurs adoucies ne le légitimèrent plus en France, subsista tel