Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/293

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vides. Le bénéfice consiste en provinces que le peuple vainqueur arrache au peuple vaincu, pour les annexer à son territoire et, si l’on stipule une indemnité pécuniaire, les guerriers du XXe siècle n’ont aucune part à sa distribution, comme avaient les compagnons du chef barbare ou les gens d’armes du baron capétien. Dès lors, les périls subsistant et les avantages disparaissant, l’on s’aperçut que la bataille était chose sanguinaire, et l’on s’y résolut moins volontiers.

Au moyen âge, si le danger était personnel, le profit l’était aussi. Les biens du perdant, ses fiefs, ses maisons fortes, ses trésors, passaient légitimement à son adversaire. Ce châtelain, dont l’an passé on enviait le sort, est réduit désormais à errer en mendiant par la campagne. Félicitons-le de n’être pas tombé au pouvoir de son ennemi. Recouvrer la liberté ne serait pas une mince affaire.

Les prisonniers, par les rançons auxquelles ils étaient taxés, représentaient une véritable valeur au porteur, transmissible, négociable, avec laquelle on payait une dette et sur laquelle on pouvait emprunter, comme on fait aujourd’hui, au bureau des avances de la Banque de France, contre un dépôt d’obligations ou de fonds publics. Faire de bonnes prises, des prises lucratives, était une opération des plus recommandables. Aussi en fait-on le plus possible et de toutes manières, souvent par ruse et par trahison.

Une fois aux mains du belligérant dont il est devenu la propriété et qui le tient en chartre privée, le captif est admis à « composer, » c’est-à-dire à payer la rançon arbitrairement fixée pour sortir de la geôle. Cette rançon est si lourde qu’elle atteint parfois la moitié, les trois quarts de sa fortune. En attendant, renfermé en quelque chambre, voire en un cachot du donjon, il « garde prison, » étroite et dure, parce que l’on s’applique à lui rendre l’existence assez pénible, afin de l’inciter par là à ne pas trop marchander. D’ailleurs, si l’on ne veillait à rendre l’évasion impossible, ce capital si précieux pourrait s’échapper. Quelque bonne volonté qu’il ait de se libérer, le détenu parfois ne le peut ; on lui demande plus qu’il ne possède. Les seigneurs qui se trompent ainsi sur la valeur, de leur prise, semblables à ces joueurs de bourse qui rêvent une hausse indéfinie et ne se décident pas à liquider en temps opportun, finissent par ne pas « réaliser » leur prisonnier. Celui-ci meurt entre leurs mains en frustrant leurs espérances.